Unter-Emmentaler | «Les gens veulent savoir ce qu’il se passe dans leur village»
31.01.2025 – Susanne Wenger
Économiquement sous pression, les groupes de médias suisses font des coupes dans le journalisme local. Cela devient un problème pour la démocratie. Mais le journal «Unter-Emmentaler», qui a 150 ans, continue de rapporter l’actualité des communes et défie la crise.
Lorsqu’on visite le journal «Unter-Emmentaler» à Huttwil (BE), on est guidé à travers l’imprimerie bruyante par une employée de l’entreprise Schürch Druck & Medien AG. Au fond du bâtiment, un escalier de bois raide et tortueux mène à la rédaction et à une petite salle de réunion aux murs de laquelle sont accrochés des portraits de la famille des fondateurs. Une famille à laquelle l’entreprise, qui a vu le jour en 1875, appartient toujours. Lors d’une récente mise au concours d’un poste de rédacteur, l’«Unter-Emmentaler» s’est décrit comme l’«un des derniers journaux locaux indépendants de Suisse».
Cet après-midi de novembre, la plupart des bureaux sont vides, les journalistes étant en route sous la neige. Six membres de la rédaction se partagent un peu plus de cinq équivalents plein temps et rédigent deux numéros par semaine avec l’aide de dix pigistes. Le bassin de diffusion englobe des parties de l’Emmental et de la Haute-Argovie bernoise ainsi que de l’arrière-pays lucernois. Walter Ryser, journaliste local chevronné, connaît la région comme sa poche.
«Un terreau favorable»
Responsable des médias de l’entreprise, Walter Ryser fournit des conseils stratégiques à la direction et signe des articles pour l’«Unter-Emmentaler». Il décrit la région comme «rurale et conservatrice» et déclare: «Ici, les traditions sont préservées et la vie s’écoule paisiblement: c’est un terreau favorable pour le journalisme local.» Mais la ville de Langenthal fait elle aussi désormais partie du bassin de diffusion. «Entre Langenthal et Huttwil, il y a déjà un monde», explique le collègue de Walter Ryser, Thomas Peter, directeur de la rédaction du journal.
Thomas Peter, directeur de la rédaction. Photo MAD
De la diversité sur un petit territoire: c’est typique pour la Suisse. «Pour le journalisme, c’est un travail d’équilibriste», note Thomas Peter. Mais le journal le maîtrise bien. «Nous faisons ce que les grands éditeurs négligent: du vrai journalisme local», souligne Walter Ryser, en évoquant l’évolution de ces 20 dernières années. La Suisse a longtemps possédé un paysage médiatique très ramifié, un pan important de la structure fédérale. Mais depuis l’an 2000, la numérisation détruit le modèle d’affaires des éditeurs de journaux. Les mesures d’économies et les vagues de fusions ont particulièrement touché le journalisme local.
De nombreux titres ont disparu
Au moins 70 titres ont disparu entre 2003 et 2021. Les journaux ont cessé de paraître ou ont été intégrés aux rédactions centralisées de plus grandes entreprises de médias. Notamment la Zurichoise Tamedia, qui possède aussi des titres dans le canton de Berne et en Suisse romande. L’automne dernier, Tamedia a annoncé de nouvelles suppressions d’emplois et de nouveaux regroupements. Son objectif déclaré est de développer la présence numérique de ses plus grands titres. Dans les régions concernées, de Genève à Winterthour, la nouvelle a fait un tollé. La région Emmental-Haute-Argovie fait elle aussi les frais de cette évolution: l’ancien journal indépendant «Langenthaler Tagblatt», qui, depuis quelques années déjà, ne paraît plus que sous la forme d’une édition séparée de la «Berner Zeitung», a été entièrement absorbé par ce titre du groupe Tamedia.
Walter Ryser, le responsable de la publication de l’«Unter-Emmentaler», était auparavant rédacteur en chef au «Langenthaler Tagblatt». Il a toujours estimé que démanteler le journalisme local était une grave erreur: «Je suis surpris de voir à quel point les médias ignorent le peuple, dit-il, car les gens veulent savoir ce qu’il se passe dans leur village.» Les régions ont besoin d’un journalisme de qualité, et c’est dans ce dernier que l’entreprise de Huttwil a investi ces dernières années, en étoffant légèrement la rédaction et en élargissant son rayon d’action. L’«Unter-Emmentaler» continue de miser sur le papier avant tout. Le site web et le compte Facebook servent à faire de la publicité au journal.
«Ici, les traditions sont préservées»: Huttwil, dans le canton de Berne, où l’«Unter-Emmentaler» est produit depuis ses débuts. Photo Keystone
Un tour de force de la rédaction
Les articles détaillés sur l’actualité locale constituent 80% du contenu rédactionnel: le village de Melchnau conservera sa fromagerie, Huttwil s’échauffe sur la part que la commune versera pour la patinoire, un musée consacré aux pompiers verra le jour à Affoltern. La rédaction ne ménage pas ses efforts: elle couvre les événements, portraiture des gens, interviewe des personnalités de la région. Elle participe aussi à chaque assemblée communale, où les habitants votent sur des projets locaux. Ce sont des organes essentiels de la démocratie directe en Suisse. Couvrir plus de 40 assemblées communales est un tour de force. «Mais nous tenons à ce service», relève le directeur de la rédaction, Thomas Peter.
Des études montrent que lorsque les médias se détournent de la vie d’une localité et de ses habitants, la participation politique et la cohésion sociale diminuent. L’absence de médias locaux indépendants fait également augmenter la corruption. Thomas Peter indique que l’«Unter-Emmentaler» n’a pas les moyens d’effectuer des recherches approfondies. Mais de toute façon, il n’a pas l’intention de «noicir» quiconque ou d’attiser les conflits. Lorsqu’un sujet fait débat, la rédaction expose les faits et les positions afin que les lecteurs puissent se faire une opinion. Et ceux-ci tolèrent mal les attaques trop franches, relève Walter Ryser: «Ils y réagissent immédiatement, car cela ne correspond pas au style du journal.»
L’«Unter-Emmentaler» consacre un article de sa une au nouveau magasin d’un petit village (édition du 6 décembre 2024).
Augmentation du tirage
L’«Unter-Emmentaler» a sa place sur le marché. Selon le tirage officiel actuel, il compte 4700 abonnés, un chiffre en hausse ces dernières années malgré la tendance globale. Ainsi, les annonceurs locaux restent eux aussi fidèles au journal imprimé, et les recettes publicitaires sont satisfaisantes. Toutes les deux semaines, un grand tirage de 20 000 exemplaires est distribué à la ronde. En tant qu’éditeur de presse écrite, l’entreprise de Huttwil profite aussi d’une distribution postale subventionnée.
Comment expliquer le succès d’une petite feuille traditionnelle dans un paysage médiatique en crise et en pleine mutation numérique? Spécialiste des médias, le journaliste Nick Lüthi explique que «pour ce type de journaux, le modèle de financement mixte s’appuyant sur les abonnements et les annonces fonctionne encore, alors qu’il s’effrite pour les titres suprarégionaux et nationaux. Cela est dû au fait qu’il n’existe pas d’alternative pour les lecteurs et les annonceurs, et que ces médias offrent toujours un service public que les gens apprécient: «Voilà beau temps que les journaux de Tamedia ont abandonné le travail de fond que l’‹Unter-Emmentaler› peut se permettre», dit le spécialiste. De plus, le boucher ou la boutique du village atteignent mieux leur public par une annonce dans le journal que par une campagne sur les réseaux sociaux.
Manifestation à Lausanne contre les licenciements prévus par l’entreprise de médias zurichoise Tamedia, qui touchent particulièrement la Romandie (12 septembre 2024). Photo Keystone
«Un rôle important»
Les responsables politiques regrettent la réduction du traitement de l’actualité locale par Tamedia dans leur région. Ils sont d’autant plus ravis que l’«Unter-Emmentaler» relate ce qu’il se passe dans leurs communes. «Ce journal aborde des sujets, événements ou informations officielles qui n’atteindraient plus la population autrement», explique le président de la ville de Langenthal, Reto Müller. Sa seule critique concerne certaines relations du journal avec des partis politiques locaux et un club de sport. Pour lui, tout lien direct devrait être proscrit.
Pour Hans Peter Baltensperger, qui préside la commune de Wyssachen depuis longtemps, l’«Unter-Emmentaler» joue «un rôle extrêmement important». Sans ce journal, sa petite commune n’apparaîtrait plus dans les médias; or, souligne-t-il, la politique locale suppose des citoyens informés. Les événements mondiaux sont rapportés par les grands médias, mais «pour l’actualité locale, nous avons besoin du journal local». Par solidarité, son entreprise de transport soutient des clubs de la région au moyen d’annonces publicitaires, ce qui profite aussi au journal.
Chez Schürch Druck & Medien, on est confiants: le modèle d’affaires du journal imprimé fonctionnera encore longtemps. Il devrait être possible de conserver au moins 10 % d’abonnés sur les quelque 45 000 habitants que compte le bassin de diffusion, note Walter Ryser. Les plus jeunes aussi renouent avec les traditions, constate-t-il avant d’ajouter: «Après 150 ans d’existence, l’‹Unter-Emmentaler› est un bien culturel local.» Un bien que l’on expédie aussi aux émigrants de la région: le journal de Huttwil a des abonnés dans le monde entier.
Dans les régions urbaines surtout, de nouveaux médias en ligne comblent le vide laissé par les grands éditeurs sur le terrain du journalisme local: des portails indépendants comme «hauptstadt.be», «tsüri.ch» et «bajour.ch» luttent pour préserver la diversité médiatique. Ces nouveaux médias bâtissent des communautés qui financent les contenus rédactionnels essentiellement via les abonnements. Toutefois, s’assurer des recettes viables est ardu. En 2022, le peuple suisse a rejeté une loi contenant de nouvelles mesures d’aide, dont les médias en ligne auraient aussi profité. Aucune modification ne sera apportée. Le Parlement national en a décidé ainsi lors de sa session d’hiver 2024. Mais l’aide indirecte à la presse sera probablement augmentée via les taxes postales. Et ce, notamment parce que la presse régionale et locale est importante pour la démocratie. (SWE)
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Arye-Isaac Ophir, Israel 28.02.2025 à 10:20
Ein den Nagel auf den Kopf treffender Artikel! Die so genannte Informationsglobalisierung führt uns Bürger immer mehr in den Strudel der Desinformation in greifbaren, täglichen Belangen, so zu sagen in eine Art von Informationsverblödung. Ein Bravo dem "Unter-Emmentaler" und seinem standhaften Leserkreis!
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Therese Gürlet Häggström, Schweden 26.02.2025 à 16:29
Ja, direkte, neutrale und sachliche Informationen sind lebenswichtig. Besonders in der heutigen Zeit - mit Präsidenten, die so viel lügen, wie wir es unseren Kindern nie erlauben würden. Danke und Gruss aus Schweden
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Ein den Nagel auf den Kopf treffender Artikel! Die so genannte Informationsglobalisierung führt uns Bürger immer mehr in den Strudel der Desinformation in greifbaren, täglichen Belangen, so zu sagen in eine Art von Informationsverblödung. Ein Bravo dem "Unter-Emmentaler" und seinem standhaften Leserkreis!
Ja, direkte, neutrale und sachliche Informationen sind lebenswichtig. Besonders in der heutigen Zeit - mit Präsidenten, die so viel lügen, wie wir es unseren Kindern nie erlauben würden. Danke und Gruss aus Schweden