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  • Série littéraire

Johann Jakob Bachofen | Il affirmait que les femmes dirigeaient le monde il y a 2500 ans

31.01.2025 – Charles Linsmayer

Avec son ouvrage intitulé «Le Droit maternel», l’aristocrate bâlois Johann Jakob Bachofen a influencé le débat sur les sexes pendant des décennies.

Johann Jakob Bachofen (1815–1887)

Il a incontestablement fait partie des pointures de la littérature suisse, mais a presque sombré dans l’oubli désormais: Johann Jakob Bachofen, auteur de l’ouvrage «Le Droit maternel. Recherche sur la gynécocratie de l’Antiquité dans sa nature religieuse et juridique». 

Certes, la thèse affirmant que l’homme n’a pas toujours eu la haute main sur l’État et la famille, mais qu’il s’est émancipé de la domination de la femme il y a environ 2500 ans, est devenue indéfendable depuis longtemps. Et pourtant, ce traité paru en 1861, dans lequel Bachofen a cherché à documenter la période de la domination féminine à l’aide de textes antiques et de symboles funéraires, a eu un impact étonnamment long.

Infraction contre le droit maternel

Dans son livre, qui fait du mariage une infraction contre un précepte religieux inscrit dans le droit maternel, l’auteur déclare : «Ce n’est pas pour s’étioler dans les bras d’un seul que la femme est dotée par la nature de tous les charmes dont elle dispose.» Ainsi, l’auteur ôte à la famille patriarcale monogame l’aura de la seule institution possible voulue par Dieu et fournit des arguments à l’émancipation féminine. Mais il explore également de nouvelles et plus vastes possibilités d’interpréter le passé.

Par ailleurs, le «Droit maternel», qui ressemble parfois à une célébration exaltée et sensible de la femme, confine aussi étroitement celle-ci à son rôle de mère. Ce qui, aujourd’hui, déclencherait probablement tout sauf l’enthousiasme des personnes directement concernées. Et même chez Bachofen lui-même, cette interprétation était moins rationnelle qu’émotionnelle, et probablement motivée par sa biographie.

«La vie des abeilles nous montre la gynécocratie dans sa forme la plus claire et la plus pure. Chaque ruche a une reine, qui est la mère de toute la colonie. À ses côtés se tient une majorité de bourdons mâles. Ceux-ci ne sont destinés qu’à la fécondation. Ils ne travaillent pas et c’est la raison pour laquelle, une fois qu’ils ont accompli ce pour quoi ils existent, ils sont mis à mort par les abeilles ouvrières femelles. Ainsi, tous les membres de la ruche sont issus d’une seule mère, mais d’une multitude de pères, auxquels aucun amour ni aucun attachement ne les relie. En fécondant la mère, les pères ont accompli leur mission et sont donc voués à disparaître.»

Extrait de J. J. Bachofen: «Le Droit maternel»

Né le 22 décembre 1815 au sein d’une des familles bâloises les plus fortunées, ce professeur de droit, juge et chercheur indépendant quelque peu excentrique, extraordinairement cultivé et travailleur acharné a en effet été plus longtemps qu’un autre sous l’influence déterminante de sa mère Valeria, une personnalité forte et dominante, issue de la lignée des Merian. Une constellation qui n’a pas changé quand le cinquantenaire, en 1865, a épousé Elisabeth Burckhardt, une jeune femme de 19 ans, et fondé avec elle un foyer qu’il dirigeait, comme il le disait lui-même, «selon des principes impérialistes».

Le «Droit maternel» de Bachofen, dédié «à la mémoire de [s]a mère, Madame Valeria Bachofen-Merian», a connu un destin mouvementé. Ignoré ou moqué comme un tour de passe-passe par les contemporains de l’écrivain, il a acquis une renommée mondiale vers 1920, grâce à Ludwig Klages et à Carl Albrecht Bernoulli, jusqu’à ce que l’ethnologie démontre que ses thèses fondamentales étaient erronées.

Bachofen a relativisé sa propre œuvre

Toutefois, l’édition des œuvres de Bachofen entre 1943 et 1967 a mis à jour une information sensationnelle: dix ans après avoir achevé «Le Droit maternel», son auteur, se plongeant dans toutes les études ethnologiques disponibles à l’époque, avait commencé à réévaluer lui-même ses découvertes et à les relativiser! Mais le silence de plomb auquel son travail s’est heurté dans sa cité natale et dans les cercles scientifiques l’a poussé à se résigner définitivement après la publication de deux ouvrages modestement intitulés «Antiquarische Briefe» [Lettres antiques]. À son décès à l’âge de 72 ans, le 25 novembre 1887, une seule nécrologie scientifique a paru, en russe, dans une revue d’exilés parisienne...

Bibliographie: «Le droit maternel», de Jakob Bachofen, a paru en français aux éditions L’Âge d’Homme (traduction: Étienne Barilier), épuisé.

Charles Linsmayer est spécialiste en littérature et journaliste à Zurich

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