Francis Giauque, fils de facteur, naît le 31 mars 1934 à Prêles, dans le Jura bernois francophone, il fréquente le gymnase de La Neuveville. Mais il interrompt ses études dès l’école de commerce qu’il suit à Neuchâtel et, atteint d’une maladie de peau, se retire dans la maison de ses parents, sans aucun contact avec l’extérieur, pour s’immerger dans les œuvres de Samuel Beckett et du Français Tristan Corbière, poète maudit, une lecture qui le pousse bientôt à écrire ses propres textes et poèmes. Il travaille un temps comme libraire et correcteur à Lausanne, où il rencontre, en 1956, l’unique amour de sa vie, la très belle artiste peintre Emilienne Farny, âgée de 20 ans, qu’il ne parviendra jamais à oublier et qu’il célébrera encore dans ses poèmes bien après qu’elle l’ait quitté.
Ravagé par la dépression
C’est à Valence, en Espagne, où il enseigne le français, que Francis Giauque est frappé pour la première fois, en 1958, par une grave dépression qui le ramène en Suisse où il fait plusieurs séjours dans les cliniques psychiatriques de Genève, Yverdon et Neuchâtel. Là, on tente de le soigner par des électrochocs et des cures d’insuline mais, de tentative de suicide en tentative de suicide, vacillant entre le désespoir le plus profond et des moments d’espérance, il sent croître en lui un dégoût toujours plus net et radical pour l’existence bourgeoise «normale», mais aussi pour la vie elle-même. C’est l’écriture qui le fait tenir, comme en témoignent les deux recueils parus de son vivant, «Parler seul» (1959) et «L’Ombre et la Nuit» (1962), tandis que le projet longtemps caressé d’une édition complète de ses poèmes et de ses textes en prose ne se concrétisera que 40 ans après sa mort, en 2005. Cette vie, il parvient à la quitter après le décès de sa mère survenu le 29 juillet 1954. Cette mère qui avait jusque-là toujours réussi à le protéger du suicide ou à le tirer d’affaire.
«Quand je mourrai demain s’il se peut enterrez-moi dans une terre humide et lourde de chaleur que la voûte de planche étoile mon sommeil / que personne ne pleure / moi qui ne sus pas vivre / je pourrai enfin m’élever dans la nuit au son clair.»
Le témoignage bouleversant d’une âme torturée
Que Francis Giauque, en proie à un isolement choisi et sous la contrainte de mesures psychiatriques, soit parvenu à exprimer son mal-être en 156 poèmes d’une violence bouleversante prend des allures de miracle, surtout quand on lit sa prose, par exemple le «Fragment d’un journal d’enfer», qui fait apparaître crûment des souffrances atténuées par la métrique des vers: «Âme convulsée. Sortir. Sortir. Toutes les issues sont bouchées. Murailles épaisses. Grillages. Portes verrouillées. Fenêtres barricadées. Univers où l’épouvante se meut comme un serpent sournois. Les anneaux se resserrent. Étouffement. Sortir. Sortir par la porte royale de la Mort.»
Et pourtant, contrairement à ce qu’on affirme souvent, il est peu probable que ce soit la maladie seule qui ait fait de Francis Giauque un poète maudit: c’est aussi l’échec de son histoire d’amour avec Emilienne Farny, dont il parle encore dans l’un de ses tout derniers poèmes: «les heures qui agonisent / dans l’écrin de l’angoisse / la houle envahissante / de la pire détresse / et toi qui ne reviendras jamais».
BIBLIOGRAPHIE: les «Œuvres» de Francis Giauque sont disponibles dans la collection L’Aire bleue aux Éditions de l’Aire, Vevey, 2005
Charles Linsmayer est spécialiste en littérature et journaliste à Zurich
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