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Liesse des Aînées pour le climat, colère des politiciens

26.07.2024 – Christof Forster

Le jugement de la Cour européenne des droits de l’homme en faveur des Aînées pour le climat a déclenché une vive controverse en Suisse. En Europe, il va inciter des associations environnementales à entreprendre des actions en justice similaires contre leurs gouvernements nationaux.

C’est une sacrée victoire que les Aînées pour la protection du climat ont remportée là. Au début du mois d’avril 2024, la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH) a donné raison aux grands-mères activistes. «C’était notre plus grand espoir, mais nous n’osions pas y croire», a déclaré Rosmarie Wydler-Wälti à la télévision suisse SRF juste après l’annonce du jugement. Le projet des Aînées pour le climat a été lancé et soutenu financièrement par Greenpeace.

Les Aînées pour le climat comme Rosmarie Wydler-Wälti – que l’on voit ici avec Greta Thunberg – plaçaient dans l’arrêt de la CourEDH leur «plus grand espoir». Pour la politique suisse, par contre, ce jugement est un vif objet de litige. Photo Keystone

Les juges de Strasbourg sont arrivés à la conclusion que la Suisse avait violé les droits humains des retraitées en n’agissant pas suffisamment contre le réchauffement climatique. L’article concrètement concerné est le n° 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour l’a étendu à la protection climatique. Les États, a-t-elle estimé, sont tenus de prendre des mesures appropriées pour éviter que les températures mondiales atteignent un niveau qui entraîne des conséquences graves et irréparables sur les droits de l’homme.

Les magistrats ont relevé d’importantes lacunes dans le cadre réglementaire suisse. Selon eux, les autorités ont manqué à quantifier, au moyen d’un budget carbone, les objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre (GES), et la Suisse n’est pas parvenue à atteindre ses objectifs passés en matière de CO2.

Un précédent européen

Ce jugement va faire jurisprudence en Europe. C’est la première fois qu’une cour supranationale reconnaît directement un droit à la protection climatique relevant des droits de l’homme. Pour préserver ces derniers, les 46 États du Conseil de l’Europe pourraient désormais se voir sommés par leurs citoyens de revoir leur politique climatique, et de l’étendre si nécessaire.

Les juges strasbourgeois ne disent pas ce que leur arrêt implique concrètement pour la Suisse, soulignant que leur rôle n’est pas de prescrire la façon dont celle-ci doit atteindre ses objectifs climatiques. C’est à présent à la Confédération, notent-ils, de prendre des mesures pour mieux protéger le climat et de les présenter au Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui est chargé de vérifier la mise en œuvre des arrêts dans les États membres.

Les Aînées pour le climat exigent à présent du Conseil fédéral qu’il commence par faire examiner les objectifs climatiques de la Suisse par des scientifiques en tenant compte du budget CO₂ national et mondial restant.

Vives critiques vis-à-vis de la CourEDH

L’arrêt de la CourEDH n’a pas contenté tout le monde: il a aussi suscité de vives critiques. Y compris parmi ceux qui sont tout à fait favorables à une meilleure protection climatique. Parmi eux, l’ancienne juge fédérale Brigitte Pfiffner, membre du parti des Verts. La Cour outrepasse clairement ses compétences lorsqu’elle empiète sur la législation et même sur le vote populaire d’un pays, a déclaré Brigitte Pfiffner dans une interview accordée à la «SonntagsZeitung». Elle pensait ici à la révision de la loi sur le CO2, rejetée par le peuple suisse en 2021, qui prévoyait notamment d’introduire une taxe sur les billets d’avion. Les juges strasbourgeois font ainsi de la politique, souligne l’ancienne juge fédérale, au lieu d’interpréter la Convention des droits de l’homme.

«La Cour outrepasse ses compétences lorsqu’elle empiète sur la législation et même sur le vote populaire d’un pays.» Ancienne juge fédérale Brigitte Pfiffner. Photo Keystone

Brigitte Pfiffner reproche aussi à la CourEDH de n’avoir pas démontré clairement en quoi une association (celle des Aînées pour la protection du climat) était tout à coup habilitée à déposer un recours. Et dans quel droit de l’homme celle-ci était atteinte. À ses yeux, la Cour n’a pas été convaincante non plus pour expliquer dans quelle mesure la politique climatique suisse restreint le droit au respect de la vie privée et familiale de l’association, tel que défini dans l’article 8 de la CEDH.

À la question de savoir s’il existe un lien causal entre les lacunes de la politique climatique suisse et les températures élevées et vagues de chaleur dont se plaignent les retraitées, la Cour se simplifie la tâche. Pour engager la responsabilité d’un État, note-t-elle, il suffit de constater que les mesures raisonnables que les autorités se sont abstenues de prendre auraient eu une chance réelle de changer le cours des événements ou d’atténuer le préjudice causé. Cependant, même si la Suisse avait réduit à zéro ses émissions de GES, cela n’aurait pas freiné la hausse globale des températures, le pays ayant une part trop faible aux émissions mondiales de CO2.

Certains craignent que ce jugement banalise et politise les droits de l’homme. Lorsque des garanties relatives aux droits humains, juridiquement contraignantes et confirmées par un tribunal, sont invoquées pour résoudre des questions sociales aussi controversées que la protection du climat, elles sont politisées. À ce sujet aussi, les avis divergent. Pour le publiciste bâlois Markus Schefer, cet arrêt est une «suite logique» de la jurisprudence actuelle. Les droits fondamentaux ancrés dans la CEDH sont formulés de manière intentionnellement ouverte, afin que leur protection reste assurée au fil du temps, a-t-il souligné face à la «NZZ am Sonntag». Les tribunaux ont pour mission importante d’appliquer le droit au regard des nouvelles menaces.

Inversement, ce jugement pourrait également affaiblir la protection climatique par sa «judiciarisation». En disant non à certains projets climatiques à l’avenir, une partie du peuple suisse pourrait rejeter, au fond, non pas la protection du climat, mais l’influence des juges étrangers. Dans un autre domaine, le jugement strasbourgeois pourrait avoir pour effet collatéral de troubler encore la perspective d’un accord institutionnel avec l’UE, déjà contrariée sur le plan politique suisse.

L’arrêt de la CourEDH a provoqué des remous dans la politique suisse. Les Commissions des affaires juridiques du Parlement – rien que ça – ont ainsi demandé au Conseil fédéral de ne pas le mettre en œuvre. Venant d’élus d’un État démocratique fondé sur le droit, il s’agit là d’un message méritant d’être relevé.

En Europe, il est probable que d’autres organisations de défense de l’environnement saisiront la CourEDH pour se plaindre de l’insuffisance de la politique climatique des gouvernements nationaux. Car l’arrêt de la Cour consacre l’accès des associations à la justice dans le domaine du climat. Ainsi, la Deutsche Umwelthilfe, par exemple, estime aujourd’hui que la plainte qu’elle a introduite en 2022 auprès de la CourEDH contre le gouvernement fédéral allemand a de réelles chances d’aboutir.

Pour en savoir plus à ce sujet: le portrait de l’Aînée pour le climat Rosmarie Wydler-Wälti, www.revue.link/climat

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