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  • En profondeur

«L’État devra probablement stabiliser aussi cette nouvelle banque»

11.08.2023 – Interview: Susanne Wenger

Fleuron de la tradition bancaire suisse, Credit Suisse (CS) a fait naufrage après 167 ans d’existence: l’État a forcé UBS à racheter sa rivale en perdition. Tobias Straumann, historien de l’économie, nous livre sa vision de la Suisse et des banques, nous parle des illusions de la politique et répond à la question suivante: un petit pays comme la Suisse a-t-il vraiment encore besoin d’une grande banque internationale?

Tobias Straumann, historien de l’économie

La Revue Suisse: Monsieur Straumann, la fin de l’histoire de CS est-elle une rupture ou un tournant pour la Suisse?

Tobias Straumann: Il s’agit tout au moins d’un événement. CS était la plus ancienne des grandes banques encore existantes. Mais sa faillite ne représente pas un tournant majeur. De grandes banques ont déjà disparu dans les années 1990. La Suisse en possédait cinq il y a un peu plus de 30 ans, il n’en reste qu’une aujourd’hui. La crise financière mondiale de 2008, avec le sauvetage par l’État de la plus grande banque suisse, UBS, puis la disparition du secret bancaire pour la clientèle étrangère ont été des traumas bien plus importants.

Sauvetage d’UBS, fusion contrainte de CS: en 15 ans, l’État a dû secourir à deux reprises des grandes banques en difficulté. Or, la Suisse est un pays qui met en avant les valeurs de l’économie de marché libre. N’est-ce pas paradoxal?

L’économie de marché est loin d’être parfaite en Suisse. Nous avons de nombreuses entreprises d’État ou pseudo-entreprises d’État et, dans le secteur bancaire, les banques cantonales, qui sont aussi des entreprises d’État. En outre, je pense que l’intervention de l’État dans les affaires des grandes banques n’est plus un tabou. Depuis les années 1990, la vulnérabilité du système bancaire, hypermondialisé et hyperlibéralisé, est évidente. Il est devenu tout à fait normal que les États interviennent régulièrement. Ils ne peuvent pas faire autrement, car sans cela, les grandes crises financières mondiales s’enchaîneraient. À l’étranger aussi, on attend de la Suisse qu’elle prévienne les incidents qui mettraient en péril tout le système bancaire.

Chronologie

1856: La banque des chemins de fer

Alfred Escher (photo), politicien libéral et entrepreneur, fonde le Schweizerische Kreditanstalt (SKA) à Zurich. L’ancêtre de Credit Suisse (CS) devient vite la plus grande banque commerciale du pays; elle cofinance l’extension du réseau ferroviaire suisse. Photo ETH-Bibliothek, Bildarchiv

1934: Adoption du secret bancaire

Le Parlement inscrit dans la loi le secret bancaire pour les clients des banques en Suisse. Bien que controversé en Suisse et à l’étranger, le secret bancaire sera longtemps ardemment défendu. Face à la pression internationale croissante, surtout liée à l’évasion fiscale, la Suisse abandonne progressivement le secret bancaire pour la clientèle étrangère à partir de 2009.

1977: Bonnets de ski pour le peuple

Pour se donner une image proche du peuple, Crédit Suisse distribue gratuitement 800 000 bonnets gratuits, qu’on verra sur les pistes de ski jusqu’à la fin des années 1990. Devenus un objet culte, ils valent bien plus que les actions de la banque au moment de la chute de CS.

1991: Crash d’une banque régionale

La Caisse d’épargne et de prêt de Thoune, dans l’Oberland bernois, voit trop grand en matière de financements immobiliers et fait faillite. Les images de ce crash bancaire dans une Suisse réputée riche et solide font le tour de la planète. Plus de 220 millions de francs issus de fortunes privées et commerciales partent en fumée.

1997: Fusion au sein d’UBS

Les deux banques historiques que sont l’Union de Banques Suisses et la Société de Banque Suisse fusionnent au sein d’UBS, qui devient la plus grande banque de Suisse. Son but est de renforcer ses activités financières internationales pour faire partie de l’élite mondiale.

2008: L’État sauve UBS

Après la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, UBS plonge dans le chaos de la crise financière. La Confédération et la Banque nationale suisse (BNS) injectent 60 milliards de francs pour éviter sa faillite. Finalement, l’opération ne coûte rien aux contribuables. Photos Keystone

2010: Excès de bonus à CS

Le patron du groupe CS, Brady Dougan (photo), touche un bonus de 71 millions de francs en plus de son salaire annuel (env. 19 millions), battant un nouveau record. Cette culture de bonus excessifs sera régulièrement critiquée en Suisse, mais les actionnaires de CS laissent faire.

2011: Loi «Too big to fail»

Le Parlement suit la ministre des finances Eveline Widmer-Schlumpf (photo) et impose des règles plus strictes aux banques dont la faillite serait dommageable pour l’économie nationale, notamment UBS et CS. Elles sont «too big to fail», trop grandes pour faire faillite. Les exigences financières sont accrues, le cas d’insolvabilité est réglementé.

2021: Milliards de pertes pour CS

Des investissements risqués dans la société financière Greensill et le hedge fund Archegos entraînent des milliards de pertes pour CS. L’Autorité suisse de surveillance des marchés financiers (FINMA) ouvre une procédure contre Greensill et impose des mesures à CS.

Mars 2023: Rachat d’urgence par UBS

La crise s’aggrave à CS, les clients retirent leur argent. Le soir du dimanche 19 mars, la ministre des finances Karin Keller-Sutter annonce le rachat de CS par UBS. La Confédération garantit la transaction à hauteur de 109 milliards de francs. Le Suisse Sergio Ermotti est nommé à la tête d’UBS.

Avril 2023: Critiques au Parlement

Lors d'une session spéciale, le Conseil national rejette les crédits d'urgence pour la reprise du CS, mais cela reste sans conséquence. Le Conseil des États les approuve. Une fois de plus, le débat s'engage pour savoir si la politique doit davantage encadrer les banques. Au Conseil national, les interventions en faveur d'une interdiction des bonus et d'une augmentation des fonds propres trouvent une majorité.

Juin 2023: Enquête sur la chute de CS

Les deux Chambres du Parlement recourent à leur instrument de contrôle le plus puissant: une Commission d’enquête parlementaire (CEP). Dirigée par la conseillère d’État du Centre Isabelle Chassot (photo), la CEP se mettra au travail cet automne. Elle enquêtera sur l’action du Conseil fédéral, de la BNS et de la FINMA avant et pendant la crise bancaire. Photos Keystone

Après le sauvetage d’UBS, le Parlement a toutefois voulu éviter, à l’aide de la loi «Too big to fail», que l’État et les contribuables soient à nouveau confrontés à des risques financiers aussi importants. Peut-on parler d’un réveil politique brutal?

En tant qu’historien, je suis moins surpris que cela n’ait pas fonctionné. En cas de crise, on a besoin de plans simples. La réglementation «too big to fail» était trop complexe, immature et un peu irréaliste. Un cas comme celui-ci implique toujours l’aval politique d’autorités étrangères. Or, cela peut prendre du temps.

Face aux marchés financiers mondialisés, que peut encore faire la capitale fédérale?

Plusieurs choses. L’État peut et doit agir énergiquement quand il s’agit de stabiliser des banques. Dans le cas d’UBS, il l’a très bien fait. La banque a été étatisée, partiellement et temporairement, et à la fin la Confédération y a même gagné quelque chose. Et UBS a adapté sa culture du risque. Dans le cas de CS, les autorités ont estimé qu’une fusion était plus sûre. L’avenir dira s’il s’agissait de la bonne solution.

À qui ou à quoi est dû le naufrage de CS?

Au management et au conseil d’administration. CS était mal dirigé depuis des années. Mais les autorités aussi doivent répondre à des questions. Depuis octobre 2022, on savait que la banque était en difficulté. Or, il a fallu attendre mars pour qu’un plan de sauvetage voie le jour. Le tout a paru quelque peu improvisé, contrairement à ce qu’il s’était passé avec UBS. Cela m’a surpris. Nous n’en savons pas encore assez pour juger le comportement des autorités: la commission d’enquête parlementaire nous éclairera à ce sujet. Et CS devrait lui aussi faire sa part, spontanément, en livrant un rapport détaillé sur ce qui a capoté. Il le doit à la Suisse.

«On peut d’ores et déjà affirmer qu’une réglementation plus stricte ne changera rien.»

Malgré les pertes et les scandales, CS distribuait des rémunérations et des bonus astronomiques. Certains banquiers semblent n’être plus guidés que par l’appât du gain, qui leur fait prendre tous les risques. Où est la banque entrepreneuriale d’autrefois, qui a fait avancer la Suisse?

CS a conservé un secteur entrepreneurial jusqu’à la fin. Dans le domaine des crédits accordés aux entreprises, il a fait du très bon travail. Il est vrai que les fondateurs de la banque autour d’Alfred Escher, au XIXe siècle, ont investi dans les infrastructures. Mais les activités ferroviaires étaient déjà risquées, elles aussi. CS a connu des débuts mouvementés, car les cours boursiers des sociétés de chemin de fer n’arrêtaient pas de fluctuer. Quand ça allait bien, les banquiers aussi gagnaient bien. Et quand ça allait mal, ils ne touchaient pas de bonus. Voilà la différence avec aujourd’hui. Les erreurs de CS sont dues à la cupidité, oui, mais surtout à l’incompétence du conseil d’administration et de la direction.

En quoi étaient-ils incompétents?

À partir des années 1990, les grandes banques suisses se sont fortement internationalisées. Or, il est très difficile pour un management suisse de tenir bon sur les places financières de Londres et de New York. Les banquiers d’investissement anglo-saxons ont une tout autre mentalité, qui s’accorde mal avec la culture d’entreprise suisse. En outre, les grandes banques suisses plaçaient souvent des employés de seconde classe à Londres et à New York, qui se comportaient comme des mercenaires et ne pensaient qu’à se faire un maximum d’argent en peu de temps.

Bonnets de ski pour le peuple. Pour se donner une image proche du peuple, Crédit Suisse distribue gratuitement 800 000 bonnets gratuits, qu’on verra sur les pistes de ski jusqu’à la fin des années 1990. Devenus un objet culte, ils valent bien plus que les actions de la banque au moment de la chute de CS.

UBS a racheté CS en juin: la banque géante qu’elle est désormais est-elle viable?

Elle est plus petite que ne l’était UBS avant la crise financière, et elle réduira certainement encore un peu sa voilure. Mais il est vrai qu’elle reste immense, puisque que la somme de son bilan atteint le double du produit intérieur brut (PIB) suisse. Je ne sais pas si elle est viable. Il est très probable qu’elle aussi connaisse un jour des difficultés et que l’État doive intervenir. Et l’on peut d’ores et déjà affirmer qu’introduire des règles plus strictes n’y changera rien.

Pourtant, certains politiques exigent actuellement des réglementations plus strictes pour les banques d’importance systémique.

Il serait bon d’exiger un peu plus de réserves, c’est-à-dire une plus grande part de fonds propres. Mais même ainsi, UBS ne sera pas à l’abri, il faut le savoir. Le système financier mondial est très vulnérable. CS était en mauvaise posture, mais pas tant que cela. Il respectait tous les chiffres clés de l’Autorité de surveillance des marchés financiers. Il suffit qu’un incident se produise quelque part, et la contagion commence. Les États ne peuvent ni prédire, ni empêcher une crise financière, seulement l’endiguer à temps pour éviter des conséquences catastrophiques. Il est toutefois difficile de déterminer le bon moment pour intervenir.

«L’importance économique de la place financière est surestimée.»

Face à de tels risques, ce petit pays qu’est la Suisse peut-il encore se permettre d’avoir une grande banque active sur le plan international?

Avoir sur sa place financière une grande banque qui propose tous les services a des avantages. Si UBS, par volonté politique, devait à présent se défaire de ses secteurs internationaux problématiques, ou déplacer son siège, elle perdrait ces avantages. Mais elle gagnerait en stabilité. Des filiales étrangères pourraient se charger de certaines opérations, comme c’est le cas pour la compagnie aérienne Swiss, qui appartient à la société allemande Lufthansa. Cela pourrait fonctionner. Même la disparition du secret bancaire ne nous a pas fait de tort. Zurich ne s’est pas appauvri, bien au contraire.

La place financière internationale suisse a-t-elle été importante pour la prospérité du pays?

Son importance économique est surestimée. La Suisse est devenue une place financière internationale durant la Première Guerre mondiale, mais en 1914, juste avant la guerre, elle était déjà le pays le plus riche du continent européen pour ce qui est du PIB par habitant. Et ce, surtout grâce à son industrie, qui était très dynamique et qui a fait sa prospérité au XIXe et au XXe siècles, et jusqu’à ce jour. La place financière est née après l’industrialisation et s’est dotée, avec la gestion de fortune, d’une nouvelle source de revenus très florissante. Pour l’économie nationale, cela a toujours eu des avantages et des inconvénients.

Quels ont été les inconvénients?

Les salaires élevés du secteur bancaire ont attiré de nombreux travailleurs qualifiés, qui ont manqué à d’autres secteurs plus innovants. À présent, sans l’appel d’air du secteur bancaire, il y a de nouveau plus de place pour d’autres branches et innovations. Zurich a beaucoup de succès dans le secteur des assurances, qui est plus prévisible et plus stable. Je trouve qu’il convient bien mieux à la mentalité suisse.

SUPPLEMENT

La suite des événements juste après la publication de notre article :

UBS rembourse l'aide de plusieurs milliards

11 août 2023 : L'UBS décide plus rapidement que prévu de rembourser les aides publiques accordées par la Confédération et la Banque nationale. Elle renonce en outre à la garantie de perte de 9 milliards de francs accordée par la Confédération. Commentaire de la Neue Zürcher Zeitung : "La banque veut s'assurer un goodwill pour les difficiles combats politiques prévisibles". - Le communiqué de la Banque nationale sur la décision de l'UBS.

Les petits actionnaires de Credit Suisse déposent plainte contre UBS

14 août 2023 : Les petits actionnaires de Credit Suisse (CS) ont déposé une plainte contre UBS auprès du tribunal de commerce de Zurich. Les quelque 1000 actionnaires ont subi de lourdes pertes financières lors du rachat du CS par l'UBS. Les plaignants sont en premier lieu des petits investisseurs de Suisse. 

 

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Commentaires :

  • user
    Thomas Kugler, Lagos, Portugal 26.03.2024 à 22:20

    Habe die Schweiz verlassen, da nach dem Tod unseres Sohnes im 2020, 3 Tagen nach der Meldung die erste Zahlung vom Militärpflichtersatz gefordert wurde. Null Respekt vor Trauer, nur das Geld ist wichtig. Bin 2022 mit meiner Frau, Doppelbürgerin Schweiz/Portugal, nach Lagos, Portugal ausgewandert. Was in der Schweiz mit den Banken passiert, interessiert mich nicht mehr. Habe alles hier in Portugal, Eigentumswohnung, 3.Säule und PK auszahlen lassen. Was ich an diesen hochgelobten Bankinstituten kritisiere, ist, dass man als Auslandschweizer wie ein Bürger 3. Klasse behandelt wird. Darum kein Geld mehr in der Schweiz.

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  • user
    Michèle Pachoud, USA 13.11.2023 à 12:05

    I have to express my feelings. I never saw that hat before I received the Swiss Review today.



    My first impression was of horror. All I could see was a swastika!!


    I know it’s not one. But it has such a resemblance. I think whoever designed this hat and all those who love it so much should be ashamed. Either they are secret Nazi lovers or not very bright.



    I am sorry if I offended anyone. It’s not my purpose.



    But in our times of global mounting racisms, pro Nazi groups and whites supremacist, I think this hat should be retired not on the front page of the Swiss Review.

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  • user
    Segue Fischlin, United States 17.08.2023 à 02:44
    This article is too sanitized for my tastes. This interview raises far more concerns than it addresses. Why should UBS be given a free pass but Credit Suisse does not? Why are we bailing out banks at all? (This happened in the U.S. also) Why does it matter if there are economic disruptions? The market will adapt, as it always does. Why is it okay that Swiss gold has been sold? How has that impacted Swiss autonomy?
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  • user
    Arye-Isaac Ophir, Israel 15.08.2023 à 11:08

    Unwiderruflich die Tiefsinnigkeit dieser Skimuetze: schliesslich faehrt man Ski ja nur bergab...

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  • user
    Seb Letan, France 14.08.2023 à 14:16

    La CHUTE c'est la fin du secret bancaire accepté sous la menace des bandits etatsuniens. Accepter le chantage est-ce raisonnable ? Avons-nous été consulté ? Entorse fatale.

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  • user
    Emil Baechi, Johannesburg, South Africa 13.08.2023 à 07:15

    Wie erklärt man, dass die Kantonalbanken relativ viel erfolgreicher sind als die Grossbanken. Siehe zum Beispiel ZKB.

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  • user
    Jürg Walter Meyer, Leimen, Deutschland 12.08.2023 à 19:33

    Ausgezeichnete Darstellung der Ereignisse und Beurteilung der aktuellen Situation,

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