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  • En profondeur

Albert Rösti électrise le débat sur l’atome

06.12.2024 – Christof Forster

Il y a sept ans, le peuple suisse se prononçait pour l’abandon de l’énergie nucléaire. À présent, le Conseil fédéral prépare le terrain pour sa relance: il prétend réautoriser la construction de nouvelles centrales, opérant ainsi un revirement à 180 degrés dans sa politique énergétique.

Il y a sept ans, le peuple suisse a voté pour la sortie du nucléaire. Les dernières centrales devaient être débranchées d’ici 2050 et l’approvisionnement du pays devait être assuré uniquement par les énergies renouvelables et les importations. Cependant, le Conseil fédéral a changé d’avis. À la fin du mois d’août, il a décidé de réautoriser la construction de nouvelles centrales. Pour ce faire, l’interdiction légale doit être levée.

Le débat sur l’énergie en Suisse s’est ainsi réélectrisé. Voilà donc relancée la polémique, que l’on croyait éteinte, entre les partisans et les adversaires des centrales nucléaires. Le ministre de l’Énergie, Albert Rösti, parle d’un «changement de paradigme». Jusqu’ici, la politique et l’économie se préparaient à se passer de l’énergie nucléaire. Aujourd’hui, les cartes sont rebattues.

L’énergie atomique a toujours été un sujet explosif. Avec la catastrophe de Fukushima en 2011, l’heure était favorable à ses adversaires. Dans les villes européennes, des centaines de milliers de manifestants protestaient contre le nucléaire. En Suisse, la ministre de l’Énergie, Doris Leuthard, considérée comme favorable à l’atome, gelait les permis de construire de nouveaux réacteurs trois jours après le tsunami.

La même année, le Conseil fédéral décidait de l’abandon du nucléaire à long terme. Les centrales existantes devaient continuer de fonctionner tant que l’autorité de surveillance les estimerait sûres. Cependant, elles ne seraient plus remplacées. Cette décision n’était toutefois pas exempte de contradictions. Si l’on avait évalué différemment la sécurité des réacteurs après Fukushima, les centrales suisses auraient dû être arrêtées bien plus tôt. Comme l’a fait l’Allemagne, par exemple. La Suisse a choisi une voie pragmatique, notamment en raison de l’opinion publique du moment. Dans les années suivant Fukushima, la construction de nouvelles centrales aurait eu du mal à obtenir une majorité.

Après la catastrophe de Fukushima, la conseillère fédérale Doris Leuthard a préparé le terrain pour la sortie du nucléaire. Le 25 mai 2011, elle a déclaré que la Suisse ne remplacerait pas ses centrales à l’expiration de leur durée d’exploitation.

L’habileté tactique du ministre de l’énergie

Si la sortie du nucléaire a alors été pilotée par Doris Leuthard, c’est aujourd’hui Albert Rösti qui est aux commandes. Or, ce dernier a toujours été un partisan de l’atome. En reprenant le département de l’énergie après son élection au Conseil fédéral, il s’est vu confier les leviers décisifs. Tactiquement très habile, il a commencé par faire profil bas en défendant les énergies renouvelables et en mettant en garde contre la relance du débat sur la construction de centrales nucléaires. Cette discussion est oiseuse, voire contre-productive, a-t-il déclaré en septembre 2023 à la «Neue Zürcher Zeitung». Rouvrir le dossier du nucléaire torpillerait les efforts entrepris pour développer les énergies renouvelables, soulignait-il.

Mais c’était hier, avant la votation sur la révision de la loi sur l’approvisionnement en électricité, qui prévoit le développement considérable des énergies renouvelables. Albert Rösti ne voulait pas qu’un débat sur l’atome mette en danger ce projet. Sa tactique a fonctionné, puisque le peuple a largement accepté la loi, malgré l’opposition du propre parti du ministre, l’UDC.

Le ministre de l’Énergie Albert Rösti lors d’une conférence de presse en août 2024, au cours de laquelle il a annoncé le nouveau cap décidé par le Conseil fédéral en matière d’énergie atomique. Photos Keystone

Formellement, la décision du Conseil fédéral se présente comme un contre-projet à l’initiative populaire «Stop au black-out», qui souhaite lever l’interdiction de construire des centrales nucléaires. Cette initiative est principalement soutenue par des représentants de l’UDC et du PLR, ainsi que du Club Énergie Suisse. Il est fort possible qu’elle soit retirée si le Parlement soutient le contre-projet du Conseil fédéral. Pour les partisans de l’atome, cela aurait un avantage: en cas de votation, seule la majorité du peuple serait nécessaire, et non celle des cantons.

La gauche reproche au conseiller fédéral UDC Albert Rösti de mépriser la volonté populaire, d’autant plus que son parti place les décisions du peuple souverain au-dessus de tout. Pour le conseiller national PS Roger Nordmann, la décision du gouvernement contredit complètement la volonté du peuple en matière de politique énergétique et climatique. Dans plusieurs scrutins, souligne-t-il, les Suisses ont exprimé très clairement leur souhait de voir s’opérer un abandon progressif du nucléaire et la mise en place d’un approvisionnement sûr en électricité au moyen d’énergies renouvelables.

La sécurité de l’approvisionnement s’installe au cœur du débat

Tandis que le risque de catastrophes a été décisif pour l’abandon de l’atome, la discussion tourne aujourd’hui autour de la sécurité de l’approvisionnement. La décarbonation entraînera une augmentation des besoins en électricité, prévoient les partisans du nucléaire. Pour atteindre l’objectif climatique «de zéro net» d’ici 2050, il faut en effet électrifier les transports et les chauffages. De plus, la croissance de la population stimule la demande en électricité. Or, celle-ci n’est plus disponible de manière illimitée, comme l’a clairement montré la crise énergétique déclenchée par l’agression russe en Ukraine.

Un manque d’électricité en hiver est devenu un scénario plausible en Suisse. Les autorités ont donc élaboré des plans d’urgence. Soudain, un mot jusqu’ici rare s’est retrouvé sur toutes les lèvres: pénurie. L’ancienne ministre de l’Énergie, Simonetta Sommaruga, appelait les Suisses à faire preuve de parcimonie en cuisine et à se doucher à deux. Grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs favorables, les plans de crise n’ont pas dû être mis en œuvre durant l’hiver 2022/23.

Envisagées un temps pour pallier les manques, les centrales au gaz ont été mises hors jeu par l’objectif de zéro net: elles ne serviraient qu’en cas d’urgence, soit pour combler une pénurie d’électricité pendant quelques semaines. Miser majoritairement sur les importations serait en effet trop risqué. Les fournisseurs d’électricité potentiels autour de la Suisse font face aux mêmes problèmes pour répondre à la demande.

D’autres pays se livrent donc aux mêmes réflexions que la Suisse. Plusieurs États européens, comme la Belgique et certains pays de l’Est, ont repoussé, voire abandonné, leur sortie du nucléaire. La Grande-Bretagne et la Slovaquie se rééquipent. Le nouveau gouvernement hollandais prévoit de construire quatre nouvelles centrales. En France, l’atome reste la colonne vertébrale de l’approvisionnement électrique.

La tour de refroidissement de la centrale nucléaire de Leibstadt (AG). Photo Keystone

Dépendance à l’égard de la Russie

Toutefois, le débat n’est pas exempt de contradictions. De nouvelles centrales nucléaires réduiraient certes la dépendance à l’égard de l’électricité produite par les centrales au charbon ou au gaz. Un gaz qui provient encore partiellement de Russie. Mais une partie de l’uranium nécessaire dans les centrales nucléaires provient lui aussi de ce pays. Selon la Fondation suisse de l’énergie (SES), qui milite contre l’énergie nucléaire, 45 % de l’électricité nucléaire et 15 % de l’ensemble de l’électricité suisse dépendent de l’uranium russe. Et au moins 7,5 % des échanges passent par l’entreprise d’État russe Rosatom.

Au sein de l’UE, on s’efforce de lutter contre cette dépendance, qui s’est cependant aggravée récemment, les importations d’uranium russe s’étant fortement accrues après le début de la guerre en Ukraine.

Outre la politique climatique et la situation géopolitique en Europe, une autre circonstance joue en faveur des partisans de l’atome: la Suisse a enfin trouvé – à Stadel, dans le canton de Zurich – un site où enfouir ses déchets nucléaires pour des milliers d’années. Certes, l’avenir de ce dépôt demeure incertain. Mais il est devenu beaucoup plus difficile, dans la région concernée, de s’y opposer qu’auparavant. La commune et le canton n’ont plus guère de possibilités de remettre en cause le choix du site. Cette année même, la Société coopérative nationale pour le stockage des déchets radioactifs (Nagra) demandera un permis de construire à la Confédération.

Récemment, ce projet a cependant subi un coup de frein. Le site d’enfouissement n’est conçu que pour les déchets des centrales nucléaires existantes, note la Nagra dans un nouveau rapport, et non pour de nouvelles centrales. Pour les adversaires de l’atome, cela montre l’absurdité de la discussion: il faudrait un deuxième site d’enfouissement pour les déchets radioactifs des nouvelles centrales, alors même que le premier n’est pas encore validé. Les partisans du nucléaire rétorquent qu’il suffirait de construire un dépôt bien plus grand au même endroit.

Un réacteur économe en déchets

Les plans de l’entreprise genevoise Transmutex vont dans le sens du nucléaire. Celle-ci est en train de développer une centrale fonctionnant sans uranium et permettant de réduire nettement les déchets des réacteurs existants. Ce procédé se nomme «transmutation». Une telle centrale utiliserait du thorium comme combustible à la place de l’uranium. Selon les experts, le volume des déchets radioactifs de longue vie pourrait être réduit d’un facteur cent. En revanche, la transmutation engendre davantage de produits de fission à courte vie, qui sont eux aussi radioactifs et doivent être enfouis pendant au moins plusieurs centaines d’années. La Suisse aura donc, de toute façon, besoin d’un site de dépôt en profondeur. Mais avec les réacteurs Transmutex, la durée de l’enfouissement serait beaucoup plus courte. Pour l’instant, ce système n’existe encore que sur le papier. Les chercheurs estiment qu’il pourrait être construit à partir de 2035. Il faudra plus de temps encore pour qu’une nouvelle centrale voie le jour en Suisse. Pour l’heure, le Conseil fédéral n’a arrêté que le début de l’abandon du nucléaire. Le contre-projet sera mis en consultation cette année, et le Parlement pourrait en débattre dès l’été 2025. Même si l’initiative est retirée, le peuple aura probablement le dernier mot. La gauche pourrait lancer un référendum contre la levée de l’interdiction de construire de nouvelles centrales.

Un oui dans les urnes ne créerait que le cadre légal pour de nouveaux réacteurs. Tout nouveau projet devrait suivre la procédure générale: autorisation, permis de construire et d’exploiter. Chacune de ces étapes pourrait prendre jusqu’à quatre ans. Il pourrait ainsi s’écouler entre dix et douze ans jusqu’à ce que la construction puisse débuter.

L’obstacle majeur au redémarrage du nucléaire est son financement. Les fournisseurs d’électricité suisses affirment en effet que la construction et l’exploitation d’une nouvelle centrale ne sont pas rentables dans les conditions actuelles. Les expériences faites à l’étranger montrent qu’il est presque impossible de construire de nouveaux réacteurs sans le soutien de l’État. En Suisse, les partisans de l’atome ont déjà un plan: ils louchent sur les fonds d’encouragement des énergies renouvelables, en arguant que la population et l’économie, qui y versent chaque année plus d’un milliard de francs, ont droit à un approvisionnement électrique sûr. Ces fonds soutiennent les énergies respectueuses du climat – hydraulique, éolienne et solaire. La droite estime que le nucléaire en fait partie et qu’il faut donc aussi le soutenir. Au grand dam de la gauche, qui s’est battue pour ces subventions.

Tout comme l’abandon de l’énergie nucléaire a été un long chemin semé d’embûches, la construction de nouvelles centrales, si elle devait advenir, ne sera pas une sinécure.

Pendant des décennies, les manifestations et les «marches de Pâques» ont rythmé le débat, incessant et virulent, entre partisans et adversaires de l’atome. Ici: manifestation devant la centrale de Gösgen (SO), le 25 janvier 1976. Photo Keystone

 
 
Des «marches de Pâques» à la sortie du nucléaire

La lutte anti-nucléaire a une longue histoire en Suisse. Elle a débuté à la fin des années 1950 et a culminé des décennies plus tard, avec la décision du peuple en faveur de la transition énergétique. Au début, la protestation issue des milieux pacifistes et religieux ne visait que la volonté du Conseil fédéral d’équiper la Suisse d’armes nucléaires. Les «marches de Pâques», organisées chaque année, ont donné naissance à de nouvelles formes de contestation. 1969 a été une année clé, avec la mise en service de la première centrale nucléaire suisse à Beznau (AG) et le grave accident dans le réacteur expérimental de Lucens (VD). Les opposants s’en sont alors également pris au nucléaire civil, du moins une partie de celui-ci, fustigeant le refroidissement à l’eau de rivière, qui entraîne le réchauffement des eaux, ainsi que les tours de refroidissement, accusées d’enlaidir le paysage. L’opposition s’est d’abord cristallisée dans la région de Bâle, contre la construction de la centrale nucléaire de Kaiseraugst. Après l’échec de leur tentative d’empêcher la construction du réacteur par la voie juridique, les opposants ont occupé le site. En 1975, ils étaient 15 000 à s’y rassembler. Le déplacement de la lutte dans la rue a entraîné le renoncement au projet. C’est aussi au mitan des années 1970 que s’est opérée la résistance de fond contre les centrales. Plus tard, diverses initiatives anti-nucléaires ont été proposées au peuple, qui ont toutes échoué de peu. En 1990, les adversaires de l’atome ont remporté un succès après la catastrophe de Tchernobyl, lorsque le peuple a approuvé un moratoire de dix ans sur la construction de nouvelles centrales. Ce délai n’a toutefois pas débouché sur un consensus en matière d’utilisation de l’énergie atomique. Ce n’est qu’en 2017 qu’une majorité de la population (58 %) a approuvé la sortie du nucléaire et la transition énergétique. (CF)
 

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