Série littéraire
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Urs Faes se livre dans ses romans à une archéologie du souvenir.
Son roman «Alphabet des Abschieds» [Alphabet de l’adieu, 1991] comporte une phrase qui caractérise bien l’écrivain Urs Faes, né en 1947 à Aarau: «Das Vergangene umgraben im Erzählen, als gäbe es die Archäologie der Erinnerung.» [Déterrer le passé dans le récit, comme s’il existait une archéologie du souvenir.»] Ce sondage profond du vécu, il le pratique d’abord dans des livres où son histoire familiale confère une authenticité personnelle à l’Histoire, notamment dans «Augenblicke im Paradies» [Instants au paradis, 1994], où l’approche philosophique de la confiserie, concentrée sur l’épicerie de ses parents, donne une note à la fois frugale et sensuelle à la période allant de 1914 à 1950. Ainsi, après la chute du troisième Reich, il ne s’agit plus de fabriquer des caramels allemands, mais des chewing-gums américains, car: «Cette génération en avait fini avec les décombres, les débris et les morts. Gare aux bonbons qui les rappelaient, finis Germaniae, finis caramellum, finis sucrum.»
Mais déjà avec «Ombra» (1997), Urs Faes montre qu’il peut se passer de son histoire familiale pour donner vie à des personnages par leurs souvenirs. «Als hätte die Stille Türen» [Comme si le silence avait des portes, 2005] juxtapose l’amour entre Alban Berg et Hanna Fuchs à celui entre un chercheur en thanatologie et une chanteuse. «Wörter sind wie Türen, aus der Stille, in die Stille, sie schaffen Weite, in der wir uns bewegen können, schaffen Raum» [Les mots sont comme des portes sortant du silence et y entrant, ils ouvrent des espaces dans lesquels nous pouvons nous mouvoir], écrit l’auteur. Si c’est ici la musique qui élargit le champ littéraire, dans «Paarbildung» [Formation de paires, 2010] c’est la médecine qui s’en charge. Le titre fait allusion au cancer, mais évoque aussi une histoire d’amour mouvementée pendant la révolution sociétale de 1968. «Halt auf Verlangen» [Arrêt sur demande, 2016], partant de l’expérience d’une thérapie anticancer, se livre à nouveau à une archéologie de la mémoire autobiographique à l’aide de souvenirs de relations amoureuses heureuses et moins heureuses, tandis que «Sommer in Brandenburg» [Été au Brandebourg, 2014] et l’émouvant roman «Untertags» [De jour, 2020], qui explore la langue et la démence, rassemblent des histoires de vie mystérieusement liées à une colonie rurale allemande, dans laquelle de jeunes juifs se préparaient à l’émigration vers la Palestine à l’été 1938.
L’abondance des sujets, personnages et décors abordés par l’auteur ne signifient cependant pas qu’il entend repeindre la réalité aux couleurs de la littérature, comme il le déclarait déjà en 1994: «Même si mes livres comportent toujours des liens avec la réalité et l’Histoire, je ne veux certainement pas représenter la réalité, mais, dans le meilleur des cas, rendre quelque chose visible, car la littérature ne rivalise pas avec l’Histoire, ne portraiture pas la réalité, mais éventuellement son illusion.»
Avec le petit ouvrage «Raunächte» [Les douze nuits, 2018], Urs Faes montre aussi qu’il entend bien poursuivre la grande tradition de la nouvelle allemande. Il y décrit un homme qui traverse une forêt enneigée, chargé de souvenirs sombres de disputes, de malédictions et de trahisons évoquant un secret obscur que le promeneur a jadis chassé de son enfance. Ce texte dense au style magistral sonne juste par son symbolisme, son ton, son atmosphère et son rythme, tandis que le motif des douze nuits, déjà décrit par Shakespeare dans «La Nuit des rois ou ce que vous voudrez», prête à l’histoire une profondeur mystérieuse et presque magique.
«En silence, David et Simone épient un héron qui remonte la rivière avec une lenteur infinie. Prudemment, il pose une patte après l’autre sur le sol sablonneux, la tête légèrement penchée en avant, s’arrête parfois quelques secondes, on dirait que le courant va l’emporter. Puis, se remettant en marche au prix de grands efforts, il continue, malgré la résistance de la rivière. Il effectue des pas minuscules. Eux deux, figés sur la rive, observent cette progression en retenant leur souffle. À cet instant, son visage à elle est tout près de son visage à lui.»
(tiré de «Als hätte die Stille Türen» [Comme si le silence avait des portes], roman, éd. Suhrkamp, 2005)
Les livres d’Urs Faes ont été publiés en allemand chez Suhrkamp.
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