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La réforme fiscale des entreprises est considérée comme la question la plus importante et la plus déterminante de la législature actuelle. Ce projet a été complété de façon controversée par une compensation financière en faveur de l’AVS. Le peuple aura le dernier mot le 19 mai 2019.
«Marchandage» a été le mot le plus couramment utilisé lors de la session d’automne 2018 du Parlement. Le ministre des Finances Ueli Maurer (UDC), quant à lui, a qualifié ce processus de «petite œuvre d’art du compromis politique». Ces différentes perceptions peuvent s’expliquer. En effet, ce que certains ont rejeté et que d’autres ont approuvé a constitué une question parlementaire quelque peu inhabituelle. En effet, deux domaines politiques différents ont été regroupés dans un projet de loi unique, à savoir une réforme de l’impôt sur les entreprises importantes pour l’économie suisse et en compensation une injection financière dans l’assurance vieillesse et survivants (AVS). Lors de sa session d’automne, le Parlement a approuvé la loi fédérale sur la réforme fiscale et le financement de l’AVS (RFFA).
Il faut revenir un peu en arrière pour comprendre la mécanique particulière de cet ensemble de lois. En 2017, deux grands projets de réforme ont échoué lors de référendums: il s’agit de la réforme de l’imposition des entreprises III (RIE III) et de la «Prévoyance vieillesse 2020», rejetées le 12 février et le 24 septembre 2017. Le besoin de réforme est énorme dans les deux domaines. La question fiscale est soumise à de fortes contraintes de temps, surtout parce que sans réforme, la Suisse pourrait se retrouver sur la liste noire de l’Union européenne (UE). Dans ce cas, les États membres de l’UE pourraient prendre des contre-mesures désagréables pour elle. De plus, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) exerce également des pressions sur la Suisse dans ce domaine.
Les problèmes ne sont pas tombés du ciel. Ils sont connus depuis 2005: certaines pratiques fiscales des cantons sont une épine dans le pied de l’UE parce que les revenus des sociétés étrangères sont imposés à un taux inférieur à celui appliqué aux entreprises suisses. Aux yeux de la critique, ce système constitue une concurrence fiscale dommageable. La Suisse s’est engagée à supprimer le statut fiscal spécial des sociétés holding et autres groupes internationaux. Ce système a rendu la Suisse attrayante pour les entreprises très mobiles. Elles étaient privilégiées par rapport aux entreprises nationales. Avec la réforme fiscale, toutes les entreprises devraient être imposées sur un même pied d’égalité. Afin de proposer une compensation à ces sociétés précédemment privilégiées, l’intention était de leur accorder certaines nouvelles déductions fiscales. Mais, de l’avis du Parti socialiste (PS), le Palement a inutilement intégré de nouveaux allégements fiscaux dans le projet de loi initial du Conseil fédéral, après quoi le PS a saisi l’arme du référendum – et en est sorti vainqueur lors du vote de février 2017.
Il fallait maintenant trouver rapidement une nouvelle solution. D’une part, parce que les entreprises actives au niveau international revêtent une importance considérable pour la Suisse, notamment du point de vue fiscal, puisqu’elles représentent près de 50 % des recettes fiscales fédérales des personnes morales et, d’autre part, parce que les contraintes de temps se sont accentuées. L’objectif de la réforme est d’éviter une augmentation dramatique de la charge fiscale pour ces sociétés à statut particulier, car sans cela, leur départ est redouté. Les cantons réduisent donc généralement l’impôt sur le bénéfice. À l’avenir, les entreprises à statut spécial paieront un peu plus, mais celles qui ne sont pas actuellement fiscalement privilégiées, c’est-à-dire surtout les PME nationales, seront moins imposées. Il en résulterait des pertes fiscales élevées. Dans une certaine mesure, cela représente le prix à payer pour une égalité de traitement entre toutes les entreprises. De nouveaux privilèges fiscaux acceptés à l’échelle internationale seront introduits afin d’offrir aux sociétés à statut particulier des conditions favorables. Les mots clés sont la boîte à brevets (imposition réduite des revenus des brevets), les déductions spéciales pour la recherche et le développement, et une déduction pour l’autofinancement. En contrepartie, l’imposition des dividendes pour les grands actionnaires sera à nouveau légèrement augmentée. Par ailleurs, la Confédération allouera aux cantons un milliard supplémentaire de l’impôt fédéral direct, ce qui leur donnera une plus grande marge de manœuvre pour leurs propres réductions d’impôts. Les principales caractéristiques de la réforme actuelle sont similaires à celles qui ont été rejetées l’année dernière, mais les mécanismes ont été adaptés pour que les déficits fiscaux soient un peu moins importants.
L’AVS entre alors en jeu. Les retraites, tout comme les impôts, comptent également parmi les principaux chantiers de la politique suisse. Et même la grande réforme des retraites de 2017 n’a pas trouvé la moindre pitié aux yeux du peuple. Aujourd’hui, les politiciens, en particulier ceux du PS, du PDC et du PLR ont eu l’idée d’inscrire dans la facture fiscale de nouvelles ressources financières pour l’AVS dans un souci d’équilibre social. Les pertes fiscales estimées à deux milliards de francs résultant de la réforme fiscale devraient être compensées par des contributions d’un montant équivalent à l’AVS. Ce financement sera assuré par l’augmentation des cotisations AVS des salariés et des employeurs et par une hausse des contributions de la Confédération à l’AVS. Il ne s’agit pas d’une réforme des retraites, mais au moins un peu de temps a été gagné pour une réforme de fond, disent les partisans de cette réforme.
Ce paquet quelque peu inhabituel a donné lieu à des débats passionnés au sein du Parlement et en public. Personne n’est vraiment satisfait. Ce n’était pas une bonne proposition, a déclaré Martin Schmid, conseiller aux États (PLR /GR), mais dans le contexte de l’échec de la réforme RIE III, c’était la meilleure solution. Peter Hegglin, député du PDC de Zoug, s’est dit d’accord «parce que nous avons besoin d’une solution viable à un problème grave.» Et Roberto Zanetti, conseiller aux États socialiste (SO), a même qualifié le travail de la commission qui avait rédigé le projet de loi de «grand moment de parlementarisme». Peter Föhn, conseiller aux États UDC de Schwytz, a utilisé des mots moins euphoriques et a mis en garde contre la possibilité de lier deux brouillons ratés. Il a constaté que le mariage de deux malades n’avait jamais conduit au succès.
L’UDC a rejeté le projet de loi au gouvernement, mais le PS, le PLR et le PDC se sont finalement imposés dans les deux Chambres. Bref: presque tous les camps politiques sont sceptiques au sujet de l’accord. Plusieurs groupes ont annoncé le référendum immédiatement après la session d’automne: les jeunes UDC et les Verts libéraux, mais aussi Les Verts, ainsi que d’autres organisations du clan vert-rouge. La critique émise par la gauche porte sur le fait que le projet de loi est une copie de la RIE III de l’impôt des sociétés dans ses aspects essentiels et encourage la concurrence fiscale internationale. Les dirigeants de l’Union syndicale suisse (USS) et du PS, en premier lieu Paul Rechsteiner (chef de l’USS) et Christian Levrat (président du PS), ont joué un rôle clé dans la conception et la négociation du plan global au sein du Parlement. Le degré de division de la gauche est illustré par la position adoptée par les syndicats et le PS: l’USS a décidé de débloquer le vote, la base du PS a soutenu son président Levrat lors d’une assemblée des délégués, mais le vif débat et le résultat du vote (148 oui et 68 non) illustrent la profonde division du parti.
Heinz Karrer, président de l’organisation faîtière d’economiesuisse, est pour une fois dans le même camp que Levrat. Si le projet de loi échoue, «un pilier important de la prospérité suisse sera menacé», écrit Karrer dans la «Neue Zürcher Zeitung». En tant que place économique, la Suisse doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour éviter le «scénario catastrophe d’une liste noire». Si le programme de compromis devait échouer, les règles fiscales actuelles devront être abandonnées rapidement et sans aucune mesure d’amortissement, les impôts devraient augmenter massivement et d’un seul coup pour les entreprises concernées, ce qui pourrait amener de grandes entreprises à quitter la Suisse.
Si le référendum a lieu, l’accord fiscal AVS devra être approuvé par le peuple le 19 mai 2019. L’issue est incertaine. Les partisans du projet de loi se heurtent à une opposition hétérogène: celle des opposants de gauche aux réductions d’impôt, celle des opposants de droite au financement via l’AVS et celle des esthètes du droit, qui ne voient pas d’un bon œil le rapprochement entre réforme fiscale et financement de l’AVS.
Image: Ils ont défendu la loi sur la réforme fiscale et le financement de l’AVS. Ils doivent maintenant faire face à une base instable: Christian Levrat et Paul Rechsteiner, conseillers PS aux États. Photo: Keystone
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