Son récit n’a rien d’inventé, car il repose en grande partie sur les propres expériences de Bonalumi, qui, comme son personnage Emilio, a été élève au séminaire San Carlo de Lugano entre 1931 et 1941 pour finalement quitter l’école sans diplôme. Non pas à cause de son comportement, mais de son propre chef, et sans que l’histoire d’amour avec Ilaria trouve son pendant dans la réalité. Tandis que le roman s’achève par le retour chez lui du jeune homme renvoyé, Giovanni Bonalumi parvient quant à lui à rattraper sa maturité à Einsiedeln, c’est-à-dire dans un autre internat catholique, à étudier la littérature à Fribourg et, après avoir travaillé plusieurs années en tant qu’enseignant et traducteur à Locarno, à devenir professeur de littérature italienne à l’université de Bâle de 1973 à 1990.
Hérétique au Tessin, applaudi en Italie
Les cercles cléricaux tessinois savent eux aussi que ce récit n’est pas entièrement issu de l’imagination de son auteur. Et leur emprise sur l’opinion publique est encore si forte en 1954 que le roman de Giovanni Bonalumi, lu non comme une représentation sensible de la puberté, mais comme une dénonciation des méthodes d’éducation du séminaire cantonal, est passé sous silence dans les médias locaux et même accusé de blasphème à certains endroits. Sa réception en Italie et en Suisse romande est tout autre. À Lausanne, le livre obtient même le prix Charles-Veillon, et il est applaudi en Italie, où Eugenio Montale, lauréat du prix Nobel, souligne la «sincérité d’un écrivain encore timide, peut-être, mais qui ne saurait mentir».
«Elle ne baissa pas les yeux. Elle commença à parler, pas intimidée le moins du monde, à demander combien nous étions au séminaire, ce qu’on faisait toute la journée. Depuis là-haut, elle nous voyait pendant la récréation. Ce qui lui plaisait le plus, c’était de regarder les lumières des cellules depuis sa chambre, le soir. ‹Si je te vois devant la maison, une fois ou l’autre, je te ferai signe...› Cette proposition parut la flatter. Grande, et tendre encore, on ne lui donnait pas plus de quinze ans.»
Un classique de la littérature suisse
Giovanni Bonalumi, qui est décédé le 8 janvier 2002 à Locarno, a publié, outre des ouvrages importants sur l’histoire de la littérature, d’autres livres comme le roman «Per Luisa» («Pour Luisa», 1972), dans lequel un intellectuel locarnais traverse une grave crise personnelle durant le soulèvement de la Hongrie en 1956, ou encore le recueil de nouvelles «Il Profilo dell’eremita» (1996), dans lequel il raconte sa période d’internat à Einsiedeln. Toutefois, il n’atteindra dans aucun de ses livres ultérieurs les sommets de son premier roman «Les Otages», qui n’a cessé de faire l’objet de rééditions, a été traduit en français et en allemand et qui est depuis longtemps considéré, y compris au Tessin, comme un classique de la littérature suisse.
Bibliographie: «Gli Ostaggi» est disponible en italien aux éditions Casagrande à Bellinzone. La traduction en français de Danielle Benzonelli a été publiée par Metropolis à Genève. La traduction en allemand de Giò Waeckerlin-Induni est disponible sous le titre «Die Geiseln» dans la série Reprinted by Huber Nr. 28 aux éditions Th. Gut à Zurich.
Charles Linsmayer est spécialiste de littérature et journaliste à Zurich
«Elle ne baissa pas les yeux. Elle commença à parler, pas intimidée le moins du monde, à demander combien nous étions au séminaire,
ce qu’on faisait toute la journée. Depuis là-haut, elle nous voyait pendant la récréation. Ce qui lui plaisait le plus, c’était
de regarder les lumières des cellules depuis sa chambre, le soir.
‹Si je te vois devant la maison, une fois ou l’autre, je te ferai signe...›
Cette proposition parut la flatter. Grande, et tendre encore, on ne lui donnait pas plus de quinze ans.»
Giovanni Bonalumi: «Les Otages», traduit de l’italien par Danielle Benzonelli, Éditions Metropolis, Genève, 2002
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