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La Suisse s’illumine de plus en plus. L’éclairage gagne même les coins les plus reculés du pays. Mais dans cet océan de lumière, un îlot d’obscurité subsiste, qui souhaite faire labelliser ses nuits et devenir le premier parc aux étoiles de Suisse.
À Surrein, village des Alpes grisonnes, une page de l’histoire de la civilisation suisse s’est tournée en 2016. Surrein était le dernier village suisse sans éclairage public, véritable anachronisme dans un monde de plus en plus illuminé. Aujourd’hui, l’obscurité n’y a plus droit de cité. Durant 40 ans, les villageois ont débattu le pour et le contre des nuits sans éclairage. Au bout de quatre tentatives, ils ont finalement décidé d’installer 46 réverbères.
Les arguments qui ont tranché en disent long sur la vision du progrès des habitants de Surrein. Les réverbères devraient permettre aux habitants d’éviter de marcher dans les bouses de vache, la nuit, ou de trébucher sur les énormes nids-de-poule, et de prendre soin des personnes isolées, dans un village fortement touché par l’exode rural. «Nous devons faire en sorte que personne ne soit renversé par une voiture.» Dans les propos, la crainte et l’obscurité semblent être les deux faces d’une même médaille: dans un village éclairé, on ne voit pas d’individus louches traîner dans les rues. Il faut dire que depuis plusieurs années, une rumeur tenace s’est répandue dans le village, celle d’un homme noir au visage masqué, qui, la nuit venue, effraie les villageois. Pourtant, la police grisonne a démenti les faits: l’homme noir – l’um ner – ne serait que pure vue de l’esprit. Mais avec l’arrivée des éclairages LED modernes ultraperformants, la rumeur sur la créature des ténèbres a rapidement fait pâle figure.
L’extension permanente de l’éclairage public, qui trouve désormais un épilogue provisoire dans le village de Surrein, suit une logique culturelle et historique. Depuis que l’homme maîtrise le feu, la lumière lui apporte chaleur, sécurité et protection. Mais cela est en passe de changer. A Surrein, des représentants de la jeune génération ont voté «contre la perte de la nuit». L’obscurité a une beauté propre, selon leur porte-parole qui s’est exprimé devant les habitants réunis. Le «silence presque audible de la nuit» est détruit par la lumière artificielle: «À Zurich, on paierait cher pour qu’aucune lumière ne brille.»
Quelques réverbères en plus, où est le problème? Le progrès a un prix. En échange d’une sécurité supposée accrue la nuit venue, la Suisse doit renoncer à la nuit. La lumière diffuse des villes et des installations industrielles et touristiques se répand même dans la campagne, habituée à une obscurité naturelle. Il y a 25 ans, près d’un tiers des espaces naturels en Suisse étaient dans l’obscurité la nuit, seuls 18 % l’étaient encore en 2009. Cette évolution n’a connu aucun répit ces dernières années.
Ce phénomène de «pollution lumineuse» touche également depuis longtemps les régions les plus reculées. Même les régions périphériques, dont la population ne cesse de diminuer, sont de plus en plus illuminées. C’est le cas de Surrein. Le village aujourd’hui éclairé compte 250 habitants. Au départ, lorsque le débat s’est ouvert sur l’éclairage des rues, le village comptait 400 habitants.
La question inquiète les protecteurs de la nature et de l’environnement, mais pas seulement. Les autorités fédérales se déclarent également préoccupées. Si l’éclairage nocturne augmente comme en Suisse de 70 % en 20 ans, cela sera «dramatique», explique Alexander Reichenbach, chargé de la question de la pollution lumineuse à l’Office fédéral de l’environnement (voir entretien). Quant aux tribunaux, ils y voient également plus clair depuis quelque temps. Dans un jugement faisant date, le Tribunal fédéral a décidé en 2009 que les éclairages ornementaux devaient être éteints dès 22 heures. La question a ému les juges fédéraux, qui ont constaté que même les flancs de montagnes les plus raides étaient mis en valeur par des éclairages nocturnes. Dans le contexte de l’illumination très étendue du sommet du Pilate, ils ont estimé que «le spectacle naturel du crépuscule» ne devait pas être mis en péril. Ils ont déclaré que «les changements de couleur du sommet au crépuscule» étaient un bien à protéger.
En Suisse, les pionniers de la lutte contre la pollution lumineuse sont les ornithologues et les astronomes. Les observateurs d’oiseaux ont clairement expliqué que les oiseaux migrateurs étaient piégés par le halo lumineux surplombant les villes, où ils volent en cercle parfois jusqu’à en mourir d’épuisement. Quant aux astronomes, ils déplorent que cette fenêtre sur l’univers ait été dérobée aux Suisses, les privant d’une possibilité d’élargir le champ de leur conscience: compter les étoiles filantes durant les nuits d’été, quand les Perséïdes, les Léonides ou les Orionides pénètrent l’atmosphère terrestre et entrent en combustion? Du passé. Se tenir main dans la main sous la Voie lactée? Terminé.
Georg Scheuter, président de la Société astronomique suisse, le dit avec fermeté: en Suisse, les citadins ne voient «plus jamais» la Voie lactée. Au lieu des 5000 étoiles que l’on peut observer à l’œil nu par nuit noire, seules quelques dizaines sont aujourd’hui visibles dans les agglomérations. En matière de pollution lumineuse, toutes les grandes villes suisses «jouent en première division».
Depuis 20 ans exactement, l’organisation non gouvernementale Dark Sky Switzerland se bat pour protéger la nuit. Avec un objectif évident, selon son directeur Rolf Schatz: en excès, la lumière artificielle menace la diversité de la faune nocturne et est nuisible pour les hommes. Si les hommes peuvent «fermer leurs volets la nuit», explique-t-il, «la nature, elle, ne le peut pas». Il a chiffré la progression de la pollution lumineuse en Suisse: les réverbères classiques éclairent l’environnement vingt fois plus fort que la lune la plus claire. «Si les êtres humains recevaient vingt fois la quantité de lumière solaire habituelle durant la journée, très vite, la situation deviendrait clairement intenable.» Rolf Schatz garde toutefois espoir. Les Suisses prennent conscience que «depuis longtemps, la quantité de lumière nocturne n’a plus rien de bénéfique.» Dans le même temps, de plus en plus de Suisses se défendent. Ils estiment qu’il existe «un droit de l’homme à disposer de nuits obscures».
Depuis longtemps, les hommes et les femmes de Dark Sky Switzerland ne sont plus seuls dans leur noble combat en faveur de l’obscurité. La question fait régulièrement l’actualité. La société suisse des ingénieurs et des architectes, SIA, qui fixe des normes contraignantes, a mis en vigueur en 2013 une directive de planification qui vise la «Prévention des émissions inutiles de lumière à l’extérieur» (SIA Norme 491). Mais Rolf Schatz reste préoccupé: le tournant technologique à lui seul n’est pas sans risques. Le rééquipement des éclairages publics avec des LED permet de faire des économies d’énergie. Ces lampes LED très efficaces en termes énergétiques risquent de générer «une hausse massive de la quantité de lumière». Cette efficacité énergétique induirait involontairement une nouvelle nuisance environnementale.
Lorsque la nuit s’apparente au jour, les nuits véritablement obscures deviennent un bien rare et précieux. Cette réflexion n’a pas échappé à la direction du Parc naturel de Gantrisch dans les Préalpes bernoises. Le parc naturel, quasiment l’arrière-cour sous-exposée de Berne, souhaite faire de l’obscurité nocturne une caractéristique distinctive. Il vise la certification «Dark Sky Park». À ce jour, l’International Dark Sky Association (IDA) a déjà décerné ce label à 37 régions dans le monde. La directrice du projet Nicole Dahinden espère que d’ici à 2019, son propre parc sera également labellisé. La région de Gantrisch serait ainsi le seul et unique parc aux étoiles de Suisse. Pour obtenir ce label, toutes les communes présentes dans le parc naturel doivent jouer le jeu. Jusqu’à présent, elles font toutes preuve de bonne volonté. Par ailleurs, la zone d’ombre de 400 km2 doit rester suffisamment sombre. La nuit, Nicole Dahinden arpente elle-même la nature, munie de ses outils de mesure, pour prélever des preuves. Premier résultat: il fait ici plus sombre que sur bien des sommets alpins. Depuis cet endroit, lorsque l’on observe Milan la nuit, on voit clairement le halo de lumière qui se détache au-dessus de l’agglomération.
Devenir le premier parc aux étoiles pourrait être le rêve d’une région isolée cédant aux sirènes du marketing. Mais Nicole Dahinden nie toute ambition commerciale. La protection du «bien immatériel qu’est l’obscurité» permet effectivement de toucher un public très varié. Mais le projet vise indéniablement à protéger la nature.
Une grande partie du parc naturel se situe dans une importante zone de protection des oiseaux. De nombreuses espèces menacées nichent ici. Beaucoup d’oiseaux migrateurs traversent la zone de partage des eaux du Gurnigel et les oiseaux migrateurs ont besoin de ciels étoilés. Contrairement à beaucoup d’autres mesures en faveur de la protection de la nature, le fait de préserver les nuits étoilées ne semble importuner personne, explique Nicole Dahinden: «Le projet n’a rien de négatif.» Mieux: «En fait, personne ne peut être favorable à la pollution lumineuse.» Ceux qui souhaitent préserver les nuits obscures souhaitent également préserver leur santé.
Il y a au moins un public qui comprend parfaitement le combat de Nicole Dahinden. Les astronomes ont découvert il y a longtemps déjà les conséquences désastreuses de la pollution lumineuse. Il viennent régulièrement dans la région de Gantrisch. Cet îlot d’obscurité dans l’océan lumineux de la nuit est devenu célèbre en Europe. Les astronomes amateurs organisent ici tous les étés des soirées sous les étoiles pour scruter ensemble l’infinité de l’univers. Les organisateurs prennent ces manifestations très au sérieux. Pour déplacer son véhicule la nuit, on doit utiliser le frein à main et en aucun cas la pédale de frein, car la lumière rouge des feux stop pourrait perturber l’obscurité.
Parc naturel de Gantrisch: www.gantrisch.ch
Astrovillage suisse à Lü (GR): www.alpineastrovillage.net
International Dark Sky Association IDA: darksky.org
Emissions lumineuses (Office fédéral de l'environnement OFEV)
Neustes Bundesgerichtsurteil (PDF)
Tout le monde sait que les papillons de nuit et autres insectes sont attirés par la lumière, s’y brûlent ou gravitent autour jusqu’à mourir d’épuisement. Mais la pollution lumineuse touche également fortement les oiseaux. Des oiseaux migrateurs sont régulièrement piégés dans les halos lumineux au-dessus des villes. Ils volent jusqu’à l’épuisement ou jusqu’à la mort. Avec la lumière artificielle, les oiseaux migrateurs partent trop tôt vers leurs quartiers d’été, ce qui réduit leurs chances de survie. Les chauves-souris reportent et réduisent leur quête alimentaire lorsque la lumière perturbe leur habitat, diminuant ainsi leurs chances de survie. En excès, la lumière artificielle empêche les amphibiens, actifs la nuit, de s’accoupler. La lumière artificielle perturbe donc directement la diversité des espèces.
Commentaires
Commentaires :
L' article: http://www.nationalgeographic.com/travel/top-10/worlds-best-stargazing-sites/#close
Dark Sky Aqueva: http://www.darkskyalqueva.com/en/?skip-intro=1
Mais aujourd'hui je me pose une question pour nos zones campagnardes d'Europe : à moins de construire des centaines de kilomètres de tunnels, ce qui ne serait pas réalisable, comment peut-on sérieusement envisager d'interdire aux automobilistes de conduire la nuit, car les phares de voitures ne sont pas sans créer de la pollution lumineuse ? Cette question me semble essentielle, mais à ce jour, complètement insurmontable.
Heute lebe ich in Thailand und selbst in stark ländlichen Gegenden ist die Milchstrasse fast nicht mehr zu erkennen!
www.darksky.ch