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Le conseiller fédéral PS Alain Berset s’est fixé un objectif ambitieux: réformer la prévoyance vieillesse, car c’est le seul moyen de la garantir à long terme. Ses deux prédécesseurs au Département de l’intérieur, Pascal Couchepin et Didier Burkhalter du PLR, ont connu des échecs cuisants avec des propositions de réforme. Dans son portrait de l’intéressé, Matthias Daum présente la stratégie d’Alain Berset: attendre, s’approcher lentement et attaquer au bon moment.
Alain Berset garde le silence. Il ne donne pas d’interviews. On aurait pu parler avec lui de la nouvelle loi sur les vaccins votée l’année dernière ou du Sbrinz et de ses 24 mois d’affinage, car il est le parrain de la Semaine du Goût à l’automne, mais pas de son gros projet portant sur la réforme complète de la prévoyance vieillesse. Sur ce point, le conseiller fédéral du Parti socialiste ne dit mot. Son attaché de presse décline verbeusement toute demande d’entretien depuis des mois.
«Comme une panthère, Alain Berset est à l’affût sur son arbre. Il attend. Pour attaquer au bon moment.» C’est ce que dit de lui un haut fonctionnaire à Berne. Avec grand respect. C’est un mercredi de novembre. Il est 15 h. La neige s’annonce à Berne. Alain Berset entre dans la grande salle du Centre des médias du Palais fédéral et prend place sur le podium. Sa posture révèle l’ancien athlète. Il tient en l’air un bloc de feuilles A4 de cinq centimètres d’épaisseur, sourit et dit: «Ce à quoi nous devons nous attaquer là n’est pas si simple.»
En 2030, le trou du fonds de l’AVS sera de CHF 8,6 milliards. Aujourd’hui déjà, les rendements des immobilisations financières des caisses de pension diminuent alors que la durée des rentes à payer avec s’allonge. Les experts estiment qu’il pourrait manquer près de 110 milliards en 2030.
C’est la plus grande réforme des retraites en Suisse depuis 1985, lorsque la prévoyance professionnelle (LPP) est devenue obligatoire. Depuis, la Suisse a du mal à faire évoluer sa prévoyance vieillesse. La dernière révision de l’AVS date de bientôt 20 ans. Elle avait fait passer progressivement l’âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans. Toutes les autres tentatives d’ajustement ont échoué. Le peuple a d’abord rejeté en 2004 l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes avant de refuser, six ans plus tard, une baisse du taux de conversion de la LPP. La même année, le Parlement a enterré une version édulcorée de cette 11e réforme de l’AVS.
Aujourd’hui, c’est le ministre socialiste qui ose un coup de maître: réformer ensemble l’AVS et la LPP. Alain Berset a annoncé son projet il y a un an et en a présenté les détails en novembre: relever l’âge de la retraite des femmes d’ici six ans de 64 à 65 ans, abaisser le taux de conversion de la prévoyance professionnelle de 6,8 à 6% sur quatre ans, appliquer les mêmes taux de cotisation aux indépendants et aux salariés. Il ne sera permis de percevoir une rente de la caisse de pension qu’à partir de 62 ans. Pour le fonds de l’AVS, une baisse de son degré de couverture au-dessous de 70% des dépenses annuelles entraînerait une hausse automatique du taux de cotisation et les rentes ne seront plus entièrement adaptées au renchérissement. En outre, comme l’AVS présenterait malgré tout un déficit de CHF 7,2 milliards à partir de 2030, il est aussi prévu d’augmenter la TVA jusqu’à 2%.
Selon le politologue Claude Longchamp, Alain Berset tente un passionnant nouveau départ. Il fait passer un grand chapeau dans lequel chacun doit mettre quelque chose. Les dernières réformes ont échoué car il y avait toujours clairement des gagnants et des perdants: les femmes, les seniors ou encore les jeunes. Engendrant la formation de curieuses alliances: 80 % des électeurs de la conservatrice UDC se sont opposés à une baisse du taux de conversion de la LPP, alors que les syndicats avaient lancé le référendum. Avec la nouvelle réforme, tout le monde est perdant. L’unique gagnante est la raison.
«C’est peut-être en demander trop à certains politiques», déclare Alain Berset. «Mais les électeurs savent comment s’y prendre avec les sujets complexes; ils l’ont démontré à plusieurs reprises.» Les intéressés savent tous que la prévoyance vieillesse doit être adaptée à l’évolution démographique. Tous les scénarios montrent qu’à partir de 2020, les gains en capital générés avec les fonds de l’AVS ne pourront plus financer les rentes. Mais un conseiller fédéral socialiste peut-il réussir un projet aussi colossal dans un pays fondamentalement de droite? Cette question est vite éludée par une autre dans les milieux politiques: mais qui d’autre qu’Alain Berset? L’admiration pour ce stratège est si grande que des journalistes présentent même ses défaites comme des victoires.
La carrière d’Alain Berset s’est déroulée au rythme de «la molle marche des pas flexibles et forts». Il a été élu à l’Assemblée constituante de Fribourg à 27 ans, au Conseil des États à 31 et au Conseil fédéral à 39. Ce Fribourgeois appartient à une nouvelle génération politique, constituée de professionnels et non de miliciens. Après des études d’économie à l’Université de Neuchâtel, il a travaillé à l’Institut économique de Hambourg puis dans l’administration neuchâteloise, avant de fonder son propre bureau de conseil. «Un conseiller fédéral doit connaître parfaitement les rouages de nos institutions politiques», a-t-il déclaré avant d’être élu au gouvernement. Il a pris de l’avance grâce à l’expérience et au réseau – à un âge (41 ans) encore jeune pour un conseiller fédéral.
Ce novice de gauche a donc saisi l’occasion lorsque le conseiller fédéral du Parti libéral-radical Didier Burkhalter a renoncé à se battre au Département de l’intérieur pour, selon ses propres mots, «des questions très complexes avec des articles de loi très techniques». Alain Berset, qui a foi en l’État, a ainsi prononcé précisément lors de la journée des employeurs son premier grand discours, rédigé par un ex-conseiller de l’ancien chef de Novartis Daniel Vasella. Il était brillant. «There is such a thing as society», a-t-il déclaré en se démarquant du discours de combat néolibéral de Maggie Thatcher et en appelant à la conscience des chefs.
Alain Berset a ouvert son jeu par une attaque contre sa propre base à gauche. Hausse de l’âge de la retraite, baisse du taux de conversion, ajustement automatique des rentes si le fonds de l’AVS faiblit sont autant de mains tendues aux partis bourgeois, qui ne l’ont pourtant pas compris. Selon l’union patronale, la réforme ne peut être supportée par l’économie et la hausse de la TVA ne devrait être utilisée qu’en dernier recours. L’Union des arts et métiers fulmine et juge que l’ensemble est «une provocation». Elle veut en revanche rendre l’âge de la retraite dépendant du fonds de l’AVS. Les retraités ne sauraient que deux ans avant à quelle date ils peuvent percevoir une rente complète.
La raison sur laquelle mise Alain Berset se terre au fond des tranchées politiques. Le ministre socialiste doit encore trouver des alliés pour son projet. Même les syndicats et son propre parti le tiennent à distance.
Mais le temps joue en faveur de la gauche. Les finances de l’AVS étant effectivement critiques, plus l’année avance, plus le nombre d’électeurs concernés par d’éventuelles mesures est élevé, et plus les propositions d’économies seront difficiles. Alain Berset sait qu’il a cet atout en main. Lorsqu’un journaliste lui demande s’il a un plan B, voici sa réponse: «Si les dernières réformes ont échoué, c’est bien parce qu’on avait toujours un plan B sous le coude.» En bref: ce projet colossal n’a pas d’alternative.
L’échec du projet pourrait entraîner une situation désastreuse. Et le destin d’Alain Berset serait celui de beaucoup de ses prédécesseurs au Département de l’intérieur: de grandes annonces sans aucun résultat. Cela ne semble pas le préoccuper. Après la conférence de presse, il fait encore quelques déclarations au micro, puis, comme une panthère, regagne son arbre.
«En Suisse, si on accélère le rythme politique, on se fait dépasser. C’est pourquoi on va plus vite en prenant son temps», a-t-il déclaré dans un discours. Mais il a aussi dit: «Des citoyens méfiants ne font confiance à aucune réforme.» D’où l’intérêt d’un débat public. Il n’est pas facile de débattre avec un conseiller fédéral qui s’assoit sur des arbres. Nous saurons bientôt s’il est prêt à en descendre étant donné que la consultation sur son projet de réforme est terminée.
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