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Depuis juin, Genève jouit d’un nouvel accès au lac d’une largeur de 500 mètres. Le rapport à l’eau de la ville calviniste se détend, comme c’est le cas depuis longtemps à Berne ou Zurich. Cette offre répond à des besoins sociaux et climatiques.
Les Genevois veulent profiter de leurs rives! Depuis une dizaine d’années, ils ont envahi les bords du Rhône pour s’y baigner, comme on le faisait au Moyen Âge, ou comme on le fait depuis longtemps à Berne ou Bâle, dans l’Aar ou le Rhin. Depuis le 22 juin, la population a découvert une nouvelle plage, celle des Eaux-Vives.
Situé à dix minutes à pied du centre, cet aménagement public gratuit, large en tout de 500 mètres, sera complètement achevé au printemps 2020. Situé entre lac et terre, il proposera un jardin d’eau doté de plantes rares – comme le voulait le WWF –, et un parc. Ce pôle de loisirs offrira une grande esplanade pour les dériveurs, un village de pêcheurs et un restaurant installé juste face au Jet d’eau. Ces lieux seront posés sur des pilotis. Quant au port de la Nautique, et à son club, il verra sa taille passer de 600 à 1000 places d’amarrage. Une longue digue filera vers le large pour protéger l’ensemble – ce qui fait d’ailleurs craindre à certains une eau pas assez renouvelée pour les baigneurs – ce que l’Etat dément. «Il faut prendre des risques et aller de l’avant», tranche l’architecte Marcellin Barthassat, qui a participé dans les années 1990 à la rénovation des Bains des Pâquis, de l’autre côté du lac.
«La vue sur la rade sera extraordinaire et on se trouvera là au calme, à l’abri du trafic», indiquait en mai Franck Pidoux, chef de projet, qui dirige le secteur de renaturation des cours d’eau à l’ État. Le fonctionnaire rappelle que cela fait longtemps qu’il y a des pétitions pour demander un meilleur accès à l’eau. «Nous avions l’offre la plus basse du bassin lémanique, contrairement à Berne ou Zurich, par exemple, qui n’ont jamais coupé le lien avec leurs fleuves», résume-t-il. Toucher à un lac? L’opération est possible, mais délicate et «des émissaires des villes d’Yverdon et de Zurich sont venus voir le projet pour comprendre comment Genève s’y est pris pour pouvoir construire sur un lac, ce qui reste exceptionnel en vertu de la loi», selon le chef de projet.
L’histoire des rapports de la ville avec ses rivages est tortueux. «Au Moyen Âge, les gens n’ont pas peur de l’eau. Genève possède des étuves sur le Rhône, des bains tièdes, qui sont des lieux de rencontre. Elles seront interdites à la Réforme. Par ailleurs, au cours des siècles, les Genevois vont se baigner nus dans le Rhône, malgré les interdits», rappelle l’historien Bernard Lescaze. «Quant au Léman, il reste un port et un lieu d’industrie jusqu’au 18ème siècle, où sont établis les premiers bains lacustres. À partir de 1850, il cesse d’être une liaison commerciale et dès 1900, il accueille de la navigation de plaisance et des régates.» Un mouvement inverse verra la baignade dans le Rhône interdite. «Avant-guerre, les classes laborieuses se retrouvent aux Bains des Pâquis, tandis qu’on organise des concours de beauté à Genève-Plage, rive gauche», résume Bernard Lescaze, qui décrit l’essor d’une «civilisation des loisirs et de l’eau».
L’ouverture de la plage des Eaux-Vives, dont la genèse a débuté avant l’état d’urgence climatique, arrive à un moment-clé de l’évolution des villes. «Il faudra d’ailleurs une autre plage ailleurs pour répondre aux inégalités sociales et au réchauffement climatique», estime Marcellin Barthassat. Cet architecte souligne la nécessité d’aménager des espaces publics dans les villes pour éviter des voyages au bout du monde. «Le réaménagement urbain est l’un des enjeux majeurs de la croissance des villes. On voit d’ailleurs que le nombre de jeunes qui passent le permis de conduire diminue et que le numérique entraine une modification de la mobilité.»
En fait, Genève revient de loin, rappelle Franck Pidoux, qui estime qu’un retournement de situation a eu lieu à partir d’un référendum: celui lancé en 1987 pour sauver les Bains des Pâquis, promis à la destruction. «Dans les années soixante, septante et quatre-vingt, le lac était très sale. On se baignait dans des piscines. La situation a évolué vers une zone d’eau de très bonne qualité. Elle attire une foule de plus en plus compacte, dans une ville qui doit répondre à la demande populaire.»
En Suisse alémanique, le rapport à l’eau serait «plus direct et détendu», juge Marcellin Barthassat. L’architecte cite des travaux de renaturation réalisés à Zurich le long de la Limmat et l’accès sans entrave à ce lac par les jardins, ainsi que les bains de l’Aar à Berne. A Genève, des centaines de mètres de quais demeurent barrés par des enrochements ou des murs.
Pourtant, certains Genevois estiment que l’emprise de la plage des Eaux-Vives est un sacrilège, dans la mesure où elle ampute le lac d’environ 2 hectares – avec un coût global estimé à 67 millions de francs –, «pour une période de baignade qui va de juin à septembre», critique Bernard Lescaze. «Oui, on perd un morceau de lac, mais l’Etat compense cela en améliorant la richesse de la faune avec le jardin d’eau de la plage et des renaturations ailleurs dans le canton», répond Franck Pidoux.
Lancé par l’ancien conseiller d’Etat écologiste Robert Cramer, et retardé par un recours du WWF, le projet de la plage des Eaux-Vives prend sa source dans une étude lancée dans les années 1990. «Le Fil du Rhône envisageait les rives fluviales sous l’angle de l’espace public, avec des interventions d’architectes, d’ingénieurs et d’artistes», résume Marcelin Barthassat. Pour le politicien vert, il s’agissait de répondre au club privé de la Nautique, qui voulait s’agrandir, de créer un accès à l’eau pour tous et de réaménager les quais marchands de la rade, en aval du Jet d’eau, jugés anarchiques! Ce projet a ensuite donné lieu à un concours d’idées sur la rade. Le premier vainqueur organise des îlots d’activités autour de la rade, à la manière des aménagements réalisés aux Bains des Pâquis, qui favorisent l’accès à l’eau. Le second piétonise les accès au lac! Dans tous les cas, cette partie des quais, qui est un ancien port, verra ses activités historiques – pêcheries, chantiers navals – disparaître, ce qui désole certains Genevois. «Que fera-t-on de ce vide? Faudra-t-il amener des travailleurs sociaux pour animer les quais? Ce n’est pas défini», commente Marcelin Barthassat.
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