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Avec son ouvrage «Faire paysan», l’écrivain et viticulteur vaudois Blaise Hofmann décrit des travailleurs de la terre en souffrance. Il appelle à sauvegarder une agriculture suisse à taille humaine.
À l’entrée du village où se tient la ferme familiale des Hofmann, le panneau indicateur de Villars-sous-Yens (VD) a toujours la tête en bas, souvenir des manifestations de février qui ont incité des paysans romands – solidaires avec les paysans français – à exiger davantage de reconnaissance. «Le monde marche sur la tête», commente l’écrivain et viticulteur Blaise Hofmann, auteur de «Faire paysan», un essai publié en 2023 sur les conditions de vie des travailleurs de la terre. Depuis dix ans, 1’500 fermes disparaissent chaque année en Suisse, soit quatre par jour. «Tout un pan de ce monde est en train de s’évanouir – des gestes, des odeurs, des bruits, des goûts, des savoir-faire, des savoir-être – et on se comporte comme si rien n’avait changé», écrit ce fils et petit-fils de paysan, dont l’arrière-grand-père se suicida. Comme nombre de paysans ces dernières années.
Dans la ferme familiale, située sur les hauts de Morges, nous passons dire bonjour aux parents de Blaise Hofmann. Walti et Anne-Lise nous accueillent avec un grand sourire. Dans leur cuisine, une gravure en couleur, célèbre, est accrochée au mur: «Le labour dans le Jorat» d’Eugène Burnand. «Un membre de ma famille y figure», commente Blaise Hofmann, ce lettré, grand bourlingueur, né en 1978, qui a pratiqué les métiers de journaliste, berger, aide-infirmier et enseignant. Cette ferme est restée une exploitation agricole. Patrick, un cousin de Blaise, y exploite une quarantaine d’hectares.
Une chose manque au tableau: les vaches, et le fumier qui va avec! «Dans les campagnes, la dot était jadis estimée à l’importance du tas de fumier devant la ferme des parents», écrit le Vaudois. Il souligne que la Suisse a toujours compté plus de vaches par habitant que partout ailleurs. Las, le cousin Patrick ne gagnait plus que quatre à six francs de l’heure avec son lait. Exit le patrimoine du grand-père.
La plupart du temps le métier de paysan s’inscrit dans une lignée. Ce fut ainsi le cas pour le grand-père de Blaise, arrivé à Villars-sous-Yens en 1937 avec des vaches de Belpberg (BE) où «il n’y avait aucune ferme de libre». Le village vaudois ne comptait que deux tracteurs, dont le sien. «Il a aidé aux labours alors que nombre de paysans étaient mobilisés. Cela l’a aidé à s’intégrer dans le village», raconte Walti devant un verre de chasselas issus des vignes du fiston. «Faire paysan» permet au lecteur citadin d’entrer dans la tête d’un paysan suisse. Il donne envie d’aller à la rencontre de ces hommes et de ces femmes qui nous nourrissent. L’essai évoque la dureté du métier, le sentiment d’abandon ressenti par une partie du monde paysan, les suicides.
Il parle de la colère de certains agriculteurs face aux initiatives «biologiques» qui se succèdent, sans qu’un dialogue soit établi entre les différents protagonistes de cette pièce. Il décrit un monde où nombre de paysans se sentent dépossédés de leur liberté, soumis à des forces qui les dépassent. Celle des coopératives, car elles favorisent les grandes exploitations. Celles des acteurs de l’agro-alimentaire, qui abuseraient de leur position dominante. Celle de la Confédération, qui les oblige à laisser en friche une partie de leurs terres. «L’Union suisse des paysans défend un système malade», juge Blaise Hofmann. L’écrivain estime que le moment est venu en Suisse de se lever pour préserver une «agriculture à taille humaine». Il faudrait s’opposer à ces mauvais vents qui mènent à une «intégration verticale» des paysans.
Il cite l’exemple de la Fédération nationale des coopératives, qui contrôle «la moitié du marché national des céréales (…), les semences UFA (numéro un des semences sur le marché helvétique: ndlr), les engrais Landor, les magasins Landi, les supérettes Volg, les boissons Ramseier, les stations-service Agrola et des dizaines d’autres entreprises». Ces géants imposent les prix, mais aussi les règles de production, regrette le Vaudois, qui cette fois s’est éloigné de son thème de prédilection: le voyage. Comme dans «Billet aller simple», publié en 2004, qui relate un périple de 16 mois entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Père de deux filles, Blaise, parle aussi des moments de joie du paysan, de sa connaissance intime de la terre et de ses cycles de vie. «Les vaches ne s’éteignent pas le dimanche, elles vivent en continu, comme les plantes, les insectes, les oiseaux et les paysans, les paysannes», résume le Vaudois.
«Faire paysan» suscite chez le citadin le regret d’être coupé de la terre. «Même derrière les vitres de la cabine de son tracteur, le paysan figure parmi les derniers êtres humains modernes à savoir lire un paysage», écrit Blaise. Les associations paysannes (de droite ou de gauche), les groupes écologistes font incessamment appel à lui. En juin, il a été invité à une table ronde avec le directeur de Migros Vaud. Il fait office de médiateur. Il décrit le duopole orange comme «l’un des fossoyeurs de l’agriculture suisse», mais ne nie pas non plus que le bilan de l’agriculture des soixante dernières années a été une catastrophe pour l’environnement.
Que faire? Le politique devrait agir en premier. Il pourrait taxer davantage les produits agricoles importés notamment du Maroc et d’Espagne, dont le coût écologique et humain est catastrophique. L’écrivain appelle à un système qui permettrait de fixer un plafond aux plus-values des grands distributeurs, qui dégagent des marges allant jusqu’à 57% sur les produits laitiers. Blaise Hofmann rappelle aussi que les solutions à la crise de l’agriculture moderne ne peuvent résider uniquement dans le développement de microfermes. Enfin, le consommateur a aussi une influence sur la direction prise par l’agriculture. «C’est moi qui, en achetant des pommes (…) parfaites déclasse indirectement les trois quarts de la récolte de l’agriculteur», reconnaît le Vaudois. Il rêve malgré tout d’un monde où des enfants diront encore «Papa, je veux faire paysanne! Maman, je veux faire paysan!».
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