Reportage
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«Susanne» est le petit nom de cette grosse cloche. Suspendue au clocher de la Collégiale de Berne, elle pèse près de dix tonnes et chante d’une voix admirable. C’est le bourdon le plus puissant de Suisse, un pays qui ne manque pourtant pas de cloches.
Amusez-vous donc à regarder une carte de la Suisse en fronçant les sourcils: ne dirait-on pas la clochette d’une réception d’hôtel ? Se mettra-t-elle à sonner si l’on appuie sur le bouton situé au niveau du canton de Schaffhouse? Cette comparaison n’est peut-être pas aussi bête qu’elle en a l’air. Car la Suisse est le pays des cloches. De partout résonnent des milliers de «ding ding dong»: des cathédrales, des églises, des chapelles. Sans parler des dizaines de milliers de cloches et clochettes accrochées au cou des vaches, des moutons et des chèvres.
Il se trouve même des personnes qui portent des cloches devant eux, comme ces groupes de «Trychler» qui défilent en cortège ou, plus récemment, veulent donner le ton en politique. Ou comme Schellen-Ursli, héros du livre d’images de Selina Chönz et Alois Carigiet, qui veut à tout prix avoir la plus grande cloche au Chalandamarz, cette fête traditionnelle qui célèbre l’approche du printemps dans le canton des Grisons.
La Suisse est bel et bien le pays des cloches. Mais qu’est-ce qui rend les cloches si particulières? Pourquoi n’accroche-t-on pas de simples plaques de tôle dans les églises? Si quelqu’un le sait, c’est bien Matthias Walter. Cet historien de l’architecture, originaire de Berne, est l’un des experts en cloches les plus sollicités en Suisse.
«Essayez donc de donner un coup de marteau sur une cuve à mazout», dit-il. «Vous n’entendrez qu’un bruit de ferraille: voilà toute la différence.» Matthias Walter se tient dans la salle basse des cloches de la Collégiale de Berne. C’est le lieu idéal pour aborder le sujet. Au-dessus de sa tête est suspendue la plus grosse cloche de Suisse. Elle a 413 ans, pèse près de dix tonnes, donne le mi et se nomme simplement «Grosse Glocke» ou Susanne. Matthias Walter frappe du plat de la main sur sa paroi extérieure. Elle émet un bruit mat puis, petit à petit, un très joli son: «Une plaque de métal ne donnera jamais rien de tel.»
Des cloches en fer forgé non plus. «Elles rendent un son, oui, mais on ne peut pas parler de musique», dit-il. Les cloches d’église, elles, sont coulées. Elles sont généralement en bronze, un alliage de cuivre et d’étain. «Elles chantent.»
Le principe de la cloche est connu depuis la nuit des temps. Mais ce n’est qu’au Moyen Âge que les fondeurs ont inventé sa forme classique, épaissie sur le bord inférieur: c’est là le secret pour obtenir un son unique et bien perceptible, explique Matthias Walter.
En réalité, une cloche produit environ trente autres sons, certains à peine audibles. Ce sont surtout les aigus qui comportent des dissonances; et ce sont ces dernières qui confèrent à chaque cloche son timbre caractéristique. «Malgré toutes les frictions, les cloches peuvent rendre un son merveilleux», dit-il. Comme la Grande Cloche, au timbre velouté. «Elle rend un son noble et serein.» Susanne sonne chaque dimanche la messe, de concert avec les autres cloches. Les jours de grande fête, on l’entend toute seule. Ce n’est plus une sonnerie, s’enthousiasme l’expert, «c’est un chant ininterrompu».
La Collégiale possède sept cloches: trois dans la salle basse, quatre dans la salle haute. Il existe de nombreuses combinaisons possibles pour les faire sonner. Mais elles ne sonnent ensemble qu’une fois par an: pour annoncer la messe du premier jour de l’Avent.
Ce qui est valable pour une cloche l’est aussi pour le carillon dans son ensemble. Les frictions sont inévitables. Les fondeurs connaissaient certes quelques lois: par exemple, comment le diamètre ou l’épaisseur de la paroi des cloches affectent la hauteur de la note. C’est comme pour les verres à vin, explique Matthias Walter: «Plus ils sont hauts et fins, plus ils rendent un son grave.» Mais il arrivait parfois que la note ne corresponde pas tout à fait aux attentes des fondeurs, explique notre spécialiste. Dans certaines églises, les cloches ne s’accordent pas bien. «Malgré tout, il peut en résulter un son mélodieux.»
Les sept cloches de la Collégiale de Berne sont «relativement bien accordées» et produisent ensemble «l’un des plus majestueux carillons d’Europe, d’une grande importance historique». La Grande Cloche est un «véritable joyau mondial».
A l’instar de Schellen-Ursli, tous les évêques et pontifes n’aspiraient-ils pas eux aussi à posséder la plus grosse cloche? Matthias Walter acquiesce en souriant. Berne, qui n’a jamais été le siège d’un évêché, a justement pu «montrer ce dont elle était capable» avec sa Collégiale et son majestueux carillon. Techniquement, il est possible de couler des cloches encore plus grandes, et on l’a fait ici et là. «Mais cela ne sert pas à grand-chose», dit-il. Car comme les très grandes cloches produisent aussi des notes aiguës et que l’ouïe humaine perçoit mal les notes très bases, «de telles géantes ont un effet décevant».
Au fil de la conversation, quelque chose nous frappe: Matthias Walter n’appelle jamais la Grande Cloche «Susanne». Ce petit nom, explique-t-il, n’est apparu qu’il y a quelques décennies. C’est un carillonneur qui semble le lui avoir donné, car il lui était aussi difficile de guider les pas de danse de son épouse Susanne que de sonner la Grande Cloche.
Dans le carillon de la Collégiale de Berne, les cloches sonnent dans l’ordre suivant (intervalles en secondes):
0' Cloche d’argent
4' Cloche de la prière
9' Cloche des pénitents
12' Cloche du prêche
17' Cloche de midi
22' Grande cloche / Susanne
A noter: le son de la grande cloche est quasiment inaudible, sa basse s’intégrant de façon si harmonieuse au carillon que la cloche reste discrète, malgré son imposante taille.
A l’époque, en effet, mettre Susanne en branle n’était pas une mince affaire. Huit carillonneurs devaient s’y atteler. Dans la salle des cloches, on voit encore les positions qu’ils adoptaient pour tirer sur les cordes. Depuis 1944, les cloches de la Collégiale sont dotées de moteurs électriques. Notre «campanologue» est un puits de science. Il nous explique que les immenses forces dégagées par le balancement des cloches sont déviées vers le bas par de grandes poutres en bois et ne représentent donc aucun risque. Il y a davantage de danger, dit-il, quand la fréquence d’une cloche correspond à l’oscillation propre au clocher. «Les deux peuvent alors s’amplifier mutuellement, comme lorsque des personnes marchent au pas sur un pont.» À cet égard, il est «amusant» de constater que la cloche «la plus dangereuse» de la Collégiale est la deuxième plus petite.
Walter, expert en cloches, n’hésite pas à partager ses connaissances avec les paroisses lorsqu’elles ont un problème avec une cloche ou un carillon. En ce qui concerne la Collégiale, il a proposé, il y a une vingtaine d’années, de redonner «un rôle de soliste» à la «cloche des pénitents». Cette proposition suscita une controverse, car cette cloche était à l’origine celle du bourreau, qui était sonnée lorsque quelqu’un était conduit à l’échafaud. Entre 1735 et 1861, cela s’est produit 65 fois. Aujourd’hui, elle se contente d’annoncer le début de la soirée.
Matthias Walter aide aussi à résoudre les conflits avec les voisins. Pour ce faire, il a inventé des battants qui s’étirent des deux côtés dans le sens du mouvement. Le balancement étant moindre, le volume sonore est réduit de moitié. Autre effet surprenant de ces battants: les cloches qui produisaient des harmoniques stridentes se mettent à chanter, comme Susanne le fait depuis toujours: Matthias Walter n’est pas qu’un expert en cloches, il est aussi un dompteur de cloches.
Chaque samedi soir à 17 h 20, les cloches des églises sonnent sur la radio suisse SRF pour annoncer le dimanche. «Glocken der Heimat» est une émission culte. Mais depuis quelques années, la collection de plus de 300 sonneries ne s’enrichit plus.
L’émission a toujours son public, affirme Matthias Walter, qui a contribué à de nombreux enregistrements. Aujourd’hui, on trouve aussi de nombreuses sonneries sur d’autres canaux, comme YouTube.
Le site web de la SRF permet d’écouter quelque 300 sonneries de cloches. Et d’apprendre beaucoup de choses sur l’histoire et la technique des cloches.
Commentaires
Commentaires :
Als ein RÜETSCHI schlucke ich alles über Glocken. Vielen Dank für einen interessanten Artikel.