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  • Série littéraire

Le talent s’exprime dans toutes les langues

22.07.2020 – Charles Linsmayer

Un poète saint-gallois a enrichi la littérature suisse en espagnol

Existe-t-il un auteur ému et porté toute sa vie par un pays lointain où il avait vécu enfant, et capable d’écrire de la poésie dans la langue locale de manière si authentique et talentueuse qu’un des plus grands écrivains de ce même pays, récompensé du prix Nobel, a pu dire qu’il était «surpris par la magie et la délicatesse de ses vers»? Oui, un tel auteur a existé! Il s’appelait Hans Leopold Davi, et le pays lointain était l’île espagnole de Tenerife. Il y était né le 10 janvier 1928 de parents ayant émigré de Kaltbrunn (SG). Et son célèbre admirateur était le poète espagnol Vicente Aleixandre (1898–1984).

Un premier recueil en allemand à Paris

Hans Leopold Davi fréquente l’école à Tenerife, arrive au gymnase de Saint-Gall à 19 ans, puis, après un apprentissage de libraire à Zurich, effectue un stage à Paris. C’est là qu’en 1952, l’imprimerie Georges Girard édite son premier recueil de poèmes en allemand, «Gedichte einer Jugend» [Poèmes de jeunesse], dont l’un, «Nächtliche Heimkehr» [Retour nocturne à la maison], contient les vers suivants: «Où est le tu, l’inconnu, / Qui nourrit mes rêves? / Où est le tu, l’innommé, / qui est ma patrie? » Son deuxième recueil déjà, édité en 1956 par Diogenes-Verlag à Zurich, «Spuren am Strand» [Traces sur la plage], ne contient plus que des poèmes écrits en espagnol et traduits par l’auteur. Ce sera aussi le cas de «Kinderliedern» [Chansons d’enfants], 1959, qui plut tant à Vicente Aleixandre, de «Stein und Wolke» [Pierre et nuages, 1961], puis de tous ses recueils jusqu’au dernier, qui paraît en 2000 sous le double titre «Me escaparé por el Hueco de la Chimenea» /«Ich werde durchs Kaminloch entkommen» [Je m’enfuirai par le trou de la cheminée].

Écrire des vers en espagnol en Suisse

Laconiques par leur forme, les poèmes de cet auteur ayant vécu à Lucerne de 1953 à sa mort en 2016 sont d’une grande force spirituelle et lyrique. Ils s’inscrivent dans la grande tradition de la poésie espagnole et restent toujours compréhensibles malgré leur audace langagière. Ils expriment l’émerveillement devant l’indicible et le mystère tout comme la recherche d’un dieu inconnu, et tentent presque toujours, au fond, de cerner le sens de la vie, de la mort et de l’amour.

Hans Leopold Davi, qui était également un traducteur talentueux – on lui doit des traductions en espagnol de Dürrenmatt et de Hilde Domin, entre autres –, n’était cependant pas prêt à dissimuler l’injustice sous la beauté artistique. À plusieurs reprises, il aborde l’horreur de la dictature franquiste; dans un poème sur la Bibliothèque nationale de Buenos Aires, en 1990, il parle des violations impunies des droits humains par la dictature militaire argentine – « Sous ces latitudes ou ailleurs, qui sait, / un homme a-t-il moins de valeur qu’un livre ou qu’un document?» –, et en 2000, il dénonce une politique des réfugiés accordant plus d’importance à des papiers d’identité valables qu’à la détresse d’un être humain.

Étroitesse d’esprit provinciale

Tandis que le poète jouit de la plus haute consécration en Espagne, il n’est pas assez suisse pour la Suisse. En 2015, alors qu’il veut léguer ses écrits aux Archives littéraires suisses, la directrice lui répond que c’est impossible, personne à Berne n’étant à même d’archiver des manuscrits rédigés en espagnol!

Mais jusqu’à la fin, le poète n’a pas voulu pas sacrifier son amour de l’Espagne, de la langue espagnole et des paysages de ses rêves sur l’autel d’un quelconque patriotisme suisse. «Gebet eines alten Mannes» [Prière d’un vieil homme], écrit en 1999, s’achève avec grâce sur le vœu suivant: «Être quelque chose: un souffle de brise matinale / une poussière de l’étoile polaire / une trace fugitive / dans tes rêves les plus clairs.»

Charles Linsmayer est spécialiste de littérature et journaliste à Zurich.

PATRIE
Ce petit tas de terre
sur lequel je suis
et je pose mes pieds
et cet autre pays inconnu,
de grande largeur
où je ne suis pas
mais que j’atteins porté par mes ailes!

Hans Leopold Davi, «Spuren im Strand», Diogenes, Zurich 1956,  épuisé

Bibliographie: Le recueil de poèmes «Ein Reisepass für das Wort» [Un passeport pour les mots, 2000] est disponible chez orte Verlag, et les souvenirs de jeunesse «Erlebtes und Erdachtes» [Choses vécues et pensées, 2007] chez Pro Libro à Lucerne.

 

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Commentaires :

  • user
    Marlise BIRRER - Defontaine , France, Paris Ve. 06.09.2020 à 16:11
    Bonjour, quel bonheur d'avoir le sentiment de découverte une âme "mystique" de grande beauté. Mes remerciements vont à la "Revue Suisse". Merci à Me Linsmayer pour sa magnifique présentation de l'auteur.
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  • user
    Ruy Pinto Schaffroth, Quilmes, República Argentina 05.08.2020 à 23:13
    ¡Que hermosa semblanza! Muchas gracias por compartirla con nosotros en la bella lengua castellana.
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