Nature et environnement
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La Suisse produit de l’énergie nucléaire, et donc des déchets radioactifs ultratoxiques qu’il faut entreposer en sécurité pour des millénaires. Après 50 ans de recherches actives, le lieu où l’on enfouira ces déchets dangereux vient d’être déterminé. De nombreuses questions restent cependant ouvertes sur ce dépôt qui coûtera 20 milliards de francs.
Dans la commune rurale de Stadel, dans l’Unterland zurichois, non loin de la frontière allemande, la vie était plutôt paisible au cours des siècles derniers. Le paysage, modelé par les glaciers et bordé de collines boisées, possède un caractère agricole. Là où l’on ne cultive pas, on exploite essentiellement de riches gisements de gravier, eux aussi hérités des ères glaciaires passées.
Aujourd’hui, Stadel se retrouve cependant au cœur d’un énorme projet. C’est là, en effet, qu’on prévoit de construire l’accès à un gigantesque dépôt souterrain pour les déchets radioactifs. Voilà près de 50 ans que la Société coopérative nationale pour l’entreposage des déchets radioactifs (Nagra) recherchait un site d’enfouissement définitif. En septembre 2022, elle a porté son choix sur Stadel et son sous-sol rocheux très stable. L’argile à Opalinus qu’on y trouve offre la plus grande sécurité possible pour le confinement de matières radioactives, affirment les experts de la Nagra. Leur CEO, Matthias Braun, note qu’entre tous les sites examinés, Stadel est celui qui présente «les plus grandes marges de sécurité». Ce qu’il entend par là, c’est que la géologie parle en faveur de ce site, et non le fait que l’opposition politique y soit faible.
Il est prévu de creuser, à proximité de Stadel, des puits d’une profondeur allant jusqu’à 900 mètres. Ces puits formeront l’accès aux cavernes qui seront aménagées dans l’argile à Opalinus pour abriter les déchets radioactifs. Pour ce projet, la Nagra s’appuie sur des dimensions temporelles inconcevables: d’après l’état actuel des connaissances, les déchets faiblement et moyennement radioactifs doivent être confinés en sécurité pendant 30 000 ans, et la Nagra prévoit environ 200 000 ans pour les déchets hautement radioactifs. Les «marges de sécurité» doivent donc permettre d’exclure, pour près d’un million d’années, que la matière radioactive remonte à la surface d’une manière ou d’une autre.
La recherche d’un site de dépôt définitif pour les déchets radioactifs produits en Suisse s’est avérée extrêmement ardue. Par endroits, des paysans furieux ont chassé les équipes de sondage de la Nagra avec leurs fourches, comme à Ollon (VD). Ailleurs, des communes et des cantons potentiellement visés ont voté contre le projet. En revanche, Stadel et le canton de Zurich n’ont guère de moyens de s’opposer au choix du site. Face aux vives résistances, les possibilités d’intervention des communes et des cantons en matière de dépôt définitif ont en effet été fortement limitées par la loi. Néanmoins, même à l’issue de cette longue recherche, nombre de points restent flous. Pour pouvoir construire son dépôt, la Nagra doit tout d’abord présenter une demande auprès de la Confédération. Cela pourrait se faire en 2024. Le choix définitif du site ne sera fait qu’une fois que les autorités fédérales auront conclu qu’un enfouissement sûr des déchets nucléaires est réellement possible à Stadel. Il est peu probable que cela arrive avant 2029. Ensuite, le peuple suisse pourrait aussi avoir à se prononcer. Ainsi, la construction du dépôt pourrait débuter, dans le meilleur des cas, en 2045. Ce n’est qu’en 2050 que les premiers conteneurs d’acier remplis de déchets radioactifs pourront donc y prendre place. Le «couvercle serait posé» en 2115, date du scellage du site.
Jusque-là, la Nagra doit encore trouver une réponse à cette question: comment avertir les futures sociétés des dangers que recèlera le sous-sol de Stadel? Il se peut fort bien, en effet, qu’un panneau d’avertissement conçu de nos jours ne soit plus compréhensible dans 10 000 ou 100 000 ans. Les mégalithes impressionnants érigés à Stonehenge, en Angleterre, illustrent cette difficulté: bien qu’ils n’aient que près de 4000 ans, leur raison d’être n’est plus déchiffrable. Les chercheurs travaillent par conséquent sur une «sémiotique de l’atome», une forme d’expression pour un futur lointain, sachant que dans 200 000 ans, les sociétés humaines telles qu’on les connaît aujourd’hui auront peut-être disparu, et que diverses périodes glaciaires pourraient avoir conduit les glaciers à remodeler à nouveau de fond en comble le paysage autour de Stadel.
Comparées à toutes les protestations auxquelles fait face la Nagra, les réactions à son choix de site sont relativement tempérées. Même les fervents opposants à l’utilisation de l’énergie atomique – notamment les Verts et l’organisation Greenpeace – concèdent que la Suisse ne peut échapper à ses responsabilités et doit entreposer ses déchets radioactifs de la manière la plus sûre possible. L’une des raisons de cette attitude est le fait que le pays a d’ores et déjà arrêté sa sortie progressive du nucléaire. Peu après la catastrophe de Fukushima (2011), le Conseil fédéral a décidé d’interdire la construction de toute nouvelle centrale. Le démantèlement de celle de Mühleberg, mise en service en 1972, a d’ailleurs déjà commencé. Et les quatre réacteurs restants, ceux de Beznau I (1969), Beznau II (1972), Gösgen (1979) et Leibstadt (1984), fonctionnent encore, mais s’approchent toujours plus de la fin de leur durée d’exploitation. Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui voient le dépôt de Stadler comme le point final à l’utilisation de l’énergie atomique en Suisse.
Toutefois, des politiciens issus des rangs du PLR et de l’UDC insistent pour un assouplissement de l’interdiction de construire de nouvelles centrales. Le site d’enfouissement définitif pèse sur ce nouveau débat: face aux coûts colossaux du projet – estimé à 20 milliards de francs – on se demande si l’électricité nucléaire, tout compte fait, est réellement bon marché. Les centrales nucléaires doivent en effet alimenter elles-mêmes le «fonds de désaffection» qui financera la construction du site – et répercuter bon gré mal gré cette dépense sur le prix de l’électricité. L’argument selon lequel de nouvelles centrales pourraient réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie belligérante relève plutôt de la pensée à court terme, car les centrales nucléaires suisses actuelles fonctionnent en grande partie grâce à l’uranium importé de Russie.
Informations complémentaires sur revue.link/nagra
Site web de la Nagra: www.nagra.ch
C’est en 1969 que la première des cinq centrales nucléaires suisses, celle de Beznau I, a été mise en service. En ce temps-là, on ne se souciait guère de l’élimination sûre des déchets radioactifs. Dès 1969, la Suisse s’est mise à les sceller dans du béton et à les transporter à travers l’Europe dans des trains de marchandises, pour les immerger sans autre forme de procès dans l’Atlantique Nord. Elle a poursuivi cette pratique contestée jusqu’en 1983 et n’a prononcé de moratoire volontaire qu’après avoir déjà immergé 7400 conteneurs d’acier remplis de déchets radioactifs. En 1984, la Suisse a tenté de négocier l’élimination de ces déchets dans le désert de Gobi avec la Chine, sans parvenir à un accord. Auparavant, d’autres négociations avaient échoué avec l’Argentine. Ce sont les États-Unis qui y avaient fait obstacle, car l’Argentine s’efforçait alors de devenir elle-même une puissance nucléaire.
La naïveté n’a cessé d’accompagner le débat autour des déchets nucléaires durant ces 70 dernières années. Jusque dans les années 1960, l’idée de les larguer au-dessus des régions polaires, où ils s’enfonceraient toujours plus profondément dans la glace en raison de leur chaleur, était considérée comme pertinente. Et au début des années 1970 encore, on envisageait sérieusement d’expédier ces déchets dans l’espace au moyen de fusées.
Ce n’est qu’à partir de 1972 que la Suisse a commencé à songer à un site d’enfouissement sûr présent sur son territoire. La recherche d’un lieu adéquat a été confiée à la Société coopérative nationale pour l’entreposage des déchets radioactifs (Nagra), et elle a déjà coûté environ 1,7 milliard de francs à ce jour. À cette somme s’ajouteront les coûts de construction effectifs du dépôt définitif qu’il est prévu d’aménager en couches géologiques profondes près de Stadel (ZH). Selon de premières estimations, la facture s’élèvera à 20 milliards de francs. (MUL)
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