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  • En profondeur

La nouvelle politique dans toutes les nuances de vert

20.11.2019 – Marc Lettau

Le Parlement suisse connaît un changement historique: plus vert que jamais, il est aussi nettement plus féminin, un peu plus à gauche, et un brin plus jeune. Additionnés, ces bouleversements sont énormes. Les électeurs de la «Cinquième Suisse» ont renforcé la vague verte.

Le système politique suisse étant si largement fondé sur la stabilité et l’équilibre, les élections ont rarement l’effet d’un séisme. Cette fois-ci, en revanche, les commentateurs ne redoutent pas d’employer des superlatifs, qualifiant à l’unisson les élections 2019 d’«historiques».

Que s’est-il passé? Plus que jamais, les électeurs ont misé sur les forces écologistes. Les Verts (PES) ont remporté 17 sièges au Conseil national et comptent désormais 28 conseillères et conseillers nationaux. Depuis 1919, aucun parti n’avait réalisé un tel bond en avant. Les Verts rejoignent ainsi les quatre partis réunissant le plus d’électeurs (part de suffrages: voir graphique).

Les faibles différences régionales rendent ce succès d’autant plus remarquable: les Verts ont fortement progressé à la fois en Suisse alémanique et en Suisse romande et, à la surprise de tous, même au Tessin. De plus, ils ont largement dépassé les pronostics. Le conseiller national Balthasar Glättli (ZH), chef du groupe des Verts, a lui aussi été étonné par ce raz-de-marée: «Même dans mes rêves les plus fous, je n’avais jamais imaginé cela.» La vague verte est renforcée par le succès des Vert’Libéraux (PVL), positionnés au centre de l’échiquier politique. Eux aussi ont plus que doublé le nombre de leurs sièges. Comptabilisant ensemble 44 sièges au Conseil national, les Verts et le PVL auront désormais beaucoup de poids dans les questions environnementales. L’un des principaux moteurs de cette évolution des rapports de force a sans aucun doute été le débat actuel sur le changement climatique. D’ailleurs, ces élections parlementaires ont parfois été qualifiées d’«élections pour le climat» par l’opinion publique.

Premièrement: des chiffres plus verts que jamais

Les excellents résultats obtenus par les deux partis écologistes ne reflètent que partiellement la «vague verte», car le paysage politique suisse était déjà devenu plus vert avant les élections. Celles-ci ont eu des effets anticipés, comme on a pu l’observer chez les Libéraux-Radicaux (PLR). Le parti a adopté tardivement une politique plus verte, revoyant sa position dans les principales questions écologiques. Le PLR a ainsi approuvé l’introduction d’une taxe environnementale sur les billets d’avion lors de la session d’automne du Conseil national, alors qu’auparavant il avait tenté de l’empêcher. Néanmoins, le PLR a perdu quatre sièges au Conseil national, et ce nombre aurait probablement été plus élevé sans ce revirement. C’est ce que semblent indiquer les très mauvais résultats de l’Union démocratique du centre (UDC), qui s’est strictement opposée à ce qu’elle a appelé «l’hystérie climatique». L’UDC a perdu douze sièges, mais reste toutefois le premier parti politique de Suisse. Ce recul ne s’explique pas seulement par son refus de participer au débat sur le climat, mais aussi et surtout par le fait que ses thèmes de prédilection, la migration et l’UE, ont eu nettement moins d’écho qu’il y a quatre ans.

Deuxièmement: juste un peu plus à gauche

Les quatre partis gouvernementaux, à savoir l’UDC, le PLR, le PDC et le PS, ont tous été pénalisés le 20 octobre. Le PS a été très touché et a perdu beaucoup de voix en faveur des partis verts déclarés, bien qu’il se considère aussi comme un parti écologiste. Certes, les Verts, qui se situent très à gauche dans les questions de politique sociale, ont plus que compensé les pertes du PS. Avec l’essor des Vert’Libéraux, toutefois, le nouveau Parlement est d’abord nettement plus vert, avant d’être beaucoup plus à gauche.

Cela pourrait décrisper la politique fédérale suisse. La logique dichotomique – bloc droit versus bloc gauche – tend à s’affaiblir. En matière d’environnement, les forces vertes réunies forment aujourd’hui un troisième pôle. Quant au PDC, parti centriste qui reste fort malgré ses pertes, il œuvrera davantage à l’émergence de compromis.

Troisièmement: nettement plus féminin

Outre le climat, la grève nationale des femmes du mois de juin a aussi influencé l’issue des élections. En effet, la part de femmes siégeant au Conseil national est passée de 32 à 42 %, un record même à l’échelle internationale. Jamais le nombre de femmes élues n’avait connu un tel bond en avant depuis l’introduction du droit de vote des femmes en 1971. Même les initiantes du projet «Helvetia appelle!» n’en espéraient pas tant.

Quatrièmement: un brin plus jeune

Le Parlement est donc beaucoup plus vert, nettement plus féminin et légèrement plus à gauche. À ces trois bouleversements s’ajoute un quatrième: bon nombre de nouveaux arrivants sont jeunes, ce qui réduit l’âge moyen des élus. Cela est notamment dû aux voix des primo-électeurs, qui ne se sont guère souciés des mérites des conseillers nationaux en place: tous partis confondus, 30 conseillers n’ont pas été réélus. Des syndicalistes connus comme Corrado Pardini (PS, BE) ont dû faire leurs valises, tout comme Jean-François Rime (UDC, FR) et Hans-Ulrich Bigler (PLR, ZH), figures de proue de l’Union suisse des arts et métiers.

Cinquièmement: la «Cinquième Suisse» renforce la tendance

Qu’en est-il des électeurs de la «Cinquième Suisse»? Ils peuvent se targuer d’avoir renforcé les principales tendances. Selon les premières estimations, ils ont en grande partie voté vert. Un Suisse de l’étranger sur quatre (25,2 %) a en effet donné sa voix aux Verts, qui ont ainsi dépassé les deux partis jusqu’ici les plus forts dans la «Cinquième Suisse», le PS (17,1 %) et l’UDC (17,8 %).

Cela dit, la participation des Suisses de l’étranger aux élections s’est effondrée à la suite de la suppression du vote électronique. Dans les cantons qui avaient proposé l’e-voting aux élections de 2015, les voix provenant de la «Cinquième Suisse» ont diminué de près d’un tiers. À Genève, la participation est passée de 31,8 % à 21,4 %; à Lucerne, de 32,1 % à 23,4 %; à Bâle, de 26,0 % à 19,2 %; à Neuchâtel, de 29,7 % à 24,9 % et en Thurgovie, de 28,5 % à 22,6 %. Ces chiffres devraient relancer le débat sur le vote électronique.

Vague verte aussi au Conseil des États

À la clôture de la rédaction, la future composition du Conseil des États, la Chambre haute du Parlement suisse, n’était pas encore connue. Un deuxième tour aura lieu dans 14 cantons. Avant ce scrutin, il est toutefois d’ores et déjà acquis que les Verts feront partie des vainqueurs. Avec la nouvelle venue Céline Vara à Neuchâtel et Mathias Zopfi à Glaris, ils ont déjà conquis deux nouveaux sièges. Et ils sont en position de force dans au moins quatre cantons (BE, BL, GE, VD) à l’aube du scrutin. L’élection de Mathias Zopfi dans le canton traditionnellement conservateur de Glaris a d’ailleurs fait du bruit: le nouvel arrivant a détrôné l’UDC, qui ne possède désormais plus aucun siège au Conseil des États pour le canton de Glaris.

Continuer: Jessica Zuber | «La démocratie suisse gagne en qualité»

Continuer: Sonia Seneviratne | «C’était un scrutin pour le climat»

Continuer: Thomas Cottier | «Le PS devrait revenir à une position pro-européenne»

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