Actualités Zürcher Kantonalbank novembre 2024
Laura Münger a vécu avec sa famille en République démocratique du Congo, où elle avait une mission de grande utilité – mais après huit mois, elle est rentrée en Suisse. Pourquoi? Et qu’en reste-t-il?
Emigrer, c’est toute une aventure, surtout dans un pays en proie aux troubles sociaux et aux pénuries d’eau et d’électricité. Laura Münger et sa famille avaient déjà voyagé plusieurs fois en République démocratique du Congo (RDC), le pays d’origine de son mari et de son père, et connaissaient les défis sur place, mais la famille biennoise a tout de même décidé de prendre un nouveau départ dans la république centrafricaine. Découvrez dans cette interview ce qui les a marqués durant cette période et en quoi Zürcher Kantonalbank les a soutenus.
Laura Münger, pourquoi avez-vous décidé d’émigrer?
C’est en 2020, pendant la pandémie de coronavirus, que mon mari et moi avons commencé à y penser pour la première fois. Nous vivions dans la maison de mes beaux-parents, dans un village tranquille près de Bienne, et avions une vie agréable. Malgré tout, la routine nous pesait, et nous avions le sentiment d’être enfermés mais aussi tributaires d’autres personnes. Lorsque ma belle-mère, originaire de la RDC, a pris sa retraite anticipée, nous avons évoqué la possibilité de nous expatrier dans le pays d’origine de mon mari..
Quel lien aviez-vous avec ce pays à l’époque?
Ma belle-famille est originaire de la RDC. En 2014, j’ai visité la RDC pour la première fois avec mon mari et j’ai fondé l’ONG «Ekimeli» avec ma belle-mère. En 2016, notre premier projet a été de construire une école à Kasangulu. Aujourd’hui, plus de 600 enfants et adolescents fréquentent notre école – du jardin d’enfants jusqu’au lycée, ce qui correspond à une formation gymnasiale en Suisse. En émigrant, nous espérions avoir plus de temps en famille, plus d’autonomie et la possibilité de poursuivre nos projets professionnels sur place. De plus, nous voulions que nos trois fils connaissent leurs racines congolaises.
La République démocratique du Congo est en proie à des conflits et des guerres civiles depuis des années. Vous n’avez jamais eu d’inquiétude?
Il y a un génocide qui dure depuis 30 ans. Dans l’est du pays, plus de six millions de personnes auraient déjà perdu la vie. Cette région est exploitée pour ses précieuses matières premières et ceux qui auraient le pouvoir de mettre fin aux conflits n’ont aucun intérêt à le faire. Je me suis rendue pour la première fois en RDC en 2014. Ma famille était très inquiète, d’autant plus que le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) déconseille de s’y rendre. Toutefois, du fait de mes expériences dans d’autres pays en développement, ce voyage n’a pas été un choc culturel pour moi. Mes craintes ont fait place à une fascination pour le pays. La RDC est un pays immense et la zone de conflit est plus éloignée de Kasangulu que la Suisse de la frontière ukrainienne.
Bien sûr, nous nous sommes aussi inquiétés du bien-être de nos enfants. Notamment en raison des moyens de transport périlleux et des soins médicaux rudimentaires, qui sont loin de correspondre aux standards suisses.
Notre quotidien était complètement différent de celui en Suisse.
En quoi votre vie quotidienne a-t-elle changé à Kasangulu?
C’était complètement différent de la Suisse. Nous prenions par exemple beaucoup plus de temps pour le petit-déjeuner. Souvent, nous achetions des produits frais dans un petit magasin à côté, comme des œufs pour les omelettes, de la baguette ou des papayes, mangues, ananas ou bananes fraîchement cueillis. Pendant la journée, nous travaillions à l’école d’Ekimeli: je formais le personnel de l’école et j’optimisais les activités et les processus de l’organisation, tandis que mon mari, qui avait travaillé en Suisse dans la sécurité, formait de jeunes hommes comme agents de sécurité et entretenait l’infrastructure.
Nos trois garçons passaient souvent des heures à jouer au basket, sur le terrain que nous venions d’aménager dans la cour de l’école d’Ekimeli, ou à explorer les environs. Ensemble, nous avons essayé de nous rapprocher des objectifs pédagogiques du programme scolaire suisse de manière créative et ludique. Mais la vie quotidienne nous mettait constamment à l’épreuve avec des problèmes que nous ne connaissions pas en Suisse. Pas d’eau courante, pas d’électricité, des températures caniculaires. Les tâches quotidiennes comme faire la vaisselle ou laver les vêtements prenaient beaucoup de temps.
En Afrique, beaucoup de choses fonctionnent différemment. En quoi les services bancaires sont-ils différents?
Il y a peu de banques au Congo. Le pays utilise deux monnaies: le dollar américain et le franc congolais, ce dernier restant le principal moyen de paiement en dehors des grandes villes. Après un mois, j’ai commencé à travailler avec le comptable de l’école d’Ekimeli pour optimiser les flux financiers. Au début, il était difficile de suivre les taux de change par rapport au franc suisse. Un dollar correspond actuellement à environ 28 000 francs congolais, pour lesquels il n’existe que des billets de banque. Il m’arrivait donc régulièrement de transporter des valises remplies de billets de banque pour payer les salaires d’une trentaine de collaborateurs de l’école d’Ekimeli.
Les distributeurs automatiques de billets ne proposent souvent que des dollars en quantité limitée. Alors, pour des sommes importantes, nous avons parfois dû passer par plusieurs distributeurs pour réunir suffisamment d’argent liquide. Cependant, le secteur bancaire se développe à mesure qu’augmente le nombre de groupes internationaux et d’investisseurs étrangers. Je pense que les banques auront une plus grande importance en RDC dans quelques années.
Comment Zürcher Kantonalbank vous a-t-elle soutenue dans votre processus d’émigration?
J’étais cliente de la même banque depuis l’âge de 18 ans. Lorsque nos projets d’émigration sont devenus plus concrets, ma ancienne conseillère à la clientèle m’a informée que la RDC figurait sur la liste rouge de la banque et que je ne pouvais donc pas conserver mon compte. Cela m’a beaucoup surprise. Mon adhésion à Soliswiss, l’organisation des Suisses de l’étranger, m’a permis de savoir quelles banques soutenaient les émigrants. J’ai demandé à deux banques de m’accueillir, et ZKB m’a immédiatement contactée. L’entretien personnel a eu lieu à peine une semaine avant de partir, si bien qu’il n’a été possible d’ouvrir le compte qu’après notre départ. Ma conseillère à la clientèle a toutefois fait tout son possible pour que je reçoive les principaux documents le plus rapidement possible. En RDC, les retraits d’argent liquide et les paiements par carte ont fonctionné sans problème et je me suis sentie bien conseillée et accompagnée à tout moment.
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Vous avez fondé l’ONG Ekimeli avec votre belle-mère fin 2013. Avant d’émigrer, cela faisait déjà dix ans que vous vous engagiez bénévolement pour l’ONG Ekimeli. Comment vouliez-vous contribuer à l’avancement du projet en émigrant?
Notre école a ouvert ses portes en 2016 avec une petite centaine d’élèves et n’a cessé de grandir depuis, si bien que nous avions atteint notre capacité maximale. En mai 2023, nous avons lancé un financement participatif afin de récolter 20 000 francs pour financer l’agrandissement, et nous avons dépassé cet objectif. Ma belle-mère a immédiatement commencé les travaux et lorsque nous sommes arrivés en août, il y avait déjà un nouveau bâtiment de deux étages avec huit salles de classe supplémentaires. Elles ont rapidement été occupées.
Sur place, nous avons adapté nos plans de développement aux besoins réels. Avec les fonds restants du financement participatif, nous avons posé du carrelage dans les salles du jardin d’enfants et aménagé un terrain de basket. Nous avions apporté des paniers de basket robustes et des ballons de Suisse et avons équipé les salles du jardin d’enfants avec du mobilier et du matériel éducatif provenant de dons. Nous avons également ouvert un kiosque, fabriqué des chaises et des bancs, créé une société de sécurité, formé des agents de sécurité et numérisé les processus financiers. Nous avons réorganisé le personnel, proposé des formations complémentaires et embauché des entraîneurs de basket-ball locaux pour enseigner l’éducation physique dans notre école.
Quels défis avez-vous rencontrés et comment les avez-vous surmontés?
Malheureusement, aujourd’hui encore, en RDC, rares sont ceux qui ont accès à la formation et au travail. De nombreuses personnes subviennent à leurs propres besoins et sont des entrepreneurs créatifs qui exercent souvent plusieurs métiers pour s’en sortir financièrement. Les métiers manuels s’apprennent «sur le tas», il n’existe pas de formation comparable à notre formation professionnelle. Un autre problème est celui des déchets, en particulier des déchets plastiques. Il n’existe pas de système public de gestion des déchets. Beaucoup de gens brûlent leurs déchets en bord de route ou les jettent dans l’espace public.
C’est à partir de ce constat et de la découverte par hasard, lors d’une recherche sur Internet, de la construction durable de bâtiments à partir de bouteilles en plastique, qu’un nouveau projet a été lancé au sein de notre ONG, Ekimeli. En collaboration avec l’ONG Congo Innovation Academy (CINA), nous avons lancé un programme éducatif sur la protection de l’environnement et la construction durable pour les élèves de l’école Ekimeli. De plus, nous formons des spécialistes locaux et essayons en même temps de sensibiliser la population de Kasangulu aux thèmes de la protection de l’environnement et de la durabilité. Le cœur du projet est la construction, dans la cour de l’école Ekimeli, d’une bibliothèque accessible au public et entièrement fabriquée à partir de bouteilles en plastique. Pour ce projet, nous avons obtenu le soutien financier de l’ambassade de Suisse à Kinshasa. Je viens de rentrer d’un voyage en RDC au cours duquel j’ai discuté avec nos partenaires de la CINA de la planification des prochaines étapes. Le projet devrait être achevé à la fin de l’année.
Après huit mois, vous avez pris la décision, avec votre famille, de revenir en Suisse. Pourquoi?
Notre famille et nos amis nous manquaient beaucoup. Mais la principale raison de notre retour était nos trois enfants. J’avais espéré qu’ils fréquenteraient temporairement l’école d’Ekimeli et que je pourrais leur enseigner le programme scolaire bernois à la maison. Malheureusement, l’intégration à l’école n’a pas fonctionné comme nous le souhaitions, car nos enfants ont eu du mal à se faire des amis. De plus, l’enseignement à la maison prenait beaucoup de temps et était difficilement conciliable avec notre engagement pour l’école.
Nous avons dû faire un choix: soit mettre nos projets en veilleuse et tenter d’obtenir un emploi et de scolariser les enfants dans la capitale Kinshasa, soit rentrer en Suisse. Comme nous ne pouvions pas nous imaginer vivre dans la grande ville de Kinshasa, nous avons décidé de rentrer en Suisse en mai de cette année. Avant même notre retour, j’ai eu un premier entretien d’embauche pour un nouveau poste en Suisse par appel vidéo WhatsApp depuis Kasangulu, et j’ai pris mes fonctions le 1er juillet. Mes enfants ont pu retourner à leur ancienne école. En emménageant récemment dans notre nouvel appartement, nous avons définitivement mis un terme à notre aventure d’expatriation et sommes revenus à notre ancienne vie.
Rétrospectivement, feriez-vous les choses différemment?
Non. Ce fut une formidable aventure, avec d’innombrables souvenirs partagés et des expériences marquantes. Nous avons réalisé avec et pour l’école Ekimeli plus que ce que nous avions imaginé, nous avons conçu de nouveaux projets et nous continuons à travailler à leur réalisation. Au cours des mois passés sur place, nous avons beaucoup appris sur ce qu’il faut faire pour mettre en œuvre des projets de développement dans un pays comme la RDC et sur les stratégies à appliquer. Mon mari et moi espérons pouvoir passer plus de temps en RDC dès que nos enfants seront plus autonomes.
Quel conseil donneriez-vous à ceux qui ont l’intention de s’expatrier?
Il est difficile de donner des conseils généraux, car chacun a ses propres raisons, ses propres objectifs et ses propres attentes. Il me semble important de mûrir longuement la décision d’émigrer et de bien peser toutes les décisions qui s’ensuivent. Pourquoi est-ce que je veux partir et où? Comment vais-je le faire et comment vais-je réagir si les choses ne se passent pas comme prévu? Pour nous, il était clair dès le départ que nous ne voulions pas émigrer pour atteindre un objectif précis. Ainsi, nous n’avions de comptes à rendre à personne et n’avions rien à prouver à personne, pas même à nous-mêmes. Un retour en Suisse pour quelque raison que ce soit a toujours été pour nous une option possible parmi d’autres. Et lorsque nous avons finalement décidé de le faire, nous n’avons pas eu l’impression d’abandonner ou d’échouer, mais nous l’avons simplement vécu comme tel: un retour marquant la fin d’une aventure.
Link Ekimeli: A propos d’Ekimeli