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Vladimir Poutine veut imposer par les armes la neutralité de l’Ukraine, tandis que la Suisse vient de réinterpréter la sienne. Des pays comme la Suède ou Taïwan ajustent leur neutralité. Le point sur le délicat principe de non-intervention.
Ces jours-ci, tout ce qui tombe entre les mains du maître du Kremlin vole en éclats. Mais bien que Vladimir Poutine ait justement fait de la «neutralité» de son voisin ukrainien un des objectifs de sa guerre contre lui, la neutralité reste «une inspiration et un idéal pour de nombreux États, même au 21e siècle». C’est du moins ce qu’affirme Johanna Rainio-Niemi, politologue, chercheuse et enseignante à l’Université d’Helsinki.
Johanna Rainio-Niemi, Neutrality as Compromises: Finland’s Cold War Neutrality (2021); Rowman and Littlefield. Photo: researchportal.helsinki.fi
À la suite de l’attaque russe contre l’Ukraine, plusieurs pays ont «abandonné» leur neutralité aux yeux de la communauté internationale. La Suisse et la Suède font partie de ces États traditionnellement neutres: «La Suède abandonne la neutralité», résume la chaîne de télévision publique allemande ZDF après la décision historique du parlement de Stockholm de livrer des armes à l’Ukraine. Et dans le New York Times, l’alignement de la Suisse sur les sanctions de l’UE contre la Russie est salué par un titre qui dit que «la Suisse met de côté sa longue tradition de neutralité».
L’invasion de l’Ukraine par la Russie est choquante. Les souffrances provoquées sont incommensurables. Cette guerre pose également un défi à la Suisse. En raison de la date précoce de clôture de notre rédaction, nous n’abordons pas le sujet dans le dernier numéro de la «Revue». Vous trouverez cependant davantage d’informations sur : swissinfo.ch
Cette perception se reflète aussi dans les débats de politique intérieure sur le sujet et il est intéressant de voir que les positions sont opposées dans les deux pays. En Suède, les nationalistes conservateurs Démocrates de Suède demandent un abandon radical de la politique menée jusqu’ici et une adhésion à l’OTAN, alors qu’en Suisse, les conservateurs de droite de l’UDC qualifient déjà l’adoption des sanctions européennes contre la Russie de «fin de la neutralité».
À ce sujet, les nombreux chants d’adieu pourraient bien arriver trop tôt. «La neutralité ne se définit pas par la question des sanctions. Ce n’est ni postulé de cette manière dans le droit international ni posé comme condition politique pour un État neutre», relève Pascal Lottaz, chargé de recherche pour la politique de neutralité à l’Université Waseda de Tokyo.
Pascal Lottaz, Neutral Beyond the Cold: Neutral States and the Post-Cold War International System (2022); Lexington Books. Photo: waseda.jp
Pour lui qui a grandi à Fribourg, en Suisse, les Conventions de La Haye autorisent en outre «explicitement les États neutres à importer et à exporter des armes». Et ce, indépendamment du fait qu'un pays soit en guerre ou non.
Adoptées au début du 20e siècle par les grandes puissances de l’époque, les Conventions de La Haye constituent aujourd'hui encore une part importante du droit international humanitaire.
Historiquement, la neutralité est considérée comme contemporaine de la démocratie. Toutes deux ont été inventées dans les cités-États de la Grèce antique et ont trouvé par la suite des applications très diverses, jusqu'à devenir des modèles compris à l'échelle mondiale au 19e siècle.
D'un point de vue juridique, on considère jusqu’à aujourd’hui comme neutres les États qui ne font partie et ne veulent faire partie d’aucune alliance militaire. Il y en a une vingtaine dans le monde, surtout en Europe et en Asie, mais aussi un en Amérique latine, le Costa Rica, qui a proclamé en 1983 sa «neutralité permanente, active et non armée».
Selon Johanna Rainio-Niemi, la neutralité est une «histoire à succès» pour de nombreux pays. La politologue finlandaise y inclut également des membres de l’UE comme l’Irlande, l’Autriche et son propre pays. Mais l’Histoire fournit aussi des exemples de pays qui n’ont pas été épargnés malgré leur neutralité. Ainsi la Belgique durant la Première Guerre mondiale, ou le Cambodge pendant la guerre du Vietnam, attaqué la fois par le Vietnam du Nord et les États-Unis. «La neutralité fonctionne toujours quand elle sert les intérêts de tous les participants à un conflit, ou du moins lorsqu'elle n'apparaît pas comme une menace existentielle pour l'un d'entre eux», constate Pascal Lottaz, le chercheur suisse au Japon.
Par le passé, les guerres entre États ont régulièrement conduit à de nouvelles formes de neutralité. Parmi elles, des solutions innovantes pour des territoires disputés, comme l’archipel d’Åland, en Mer Baltique, entre la Suède et la Finlande (1920), ou le traité du Spitzberg, en 1925, qui assure aujourd’hui encore la paix dans cet archipel de l’Arctique. En 1959, le traité de l’Antarctique a permis de «neutraliser» un continent entier. Aujourd’hui, la neutralité fait aussi l’objet d’intenses discussions en Asie du Sud-Est: aussi bien l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) que l’île de Taïwan réfléchissent à cette manière de se soustraire aux tensions croissantes - y compris militaires - entre la Chine et les États-Unis.
Pour les chercheurs en neutralité comme Pascal Lottaz, une chose est sûre: «Tant qu'il y aura des conflits internationaux, la neutralité aura un avenir. La grande question est de savoir comment nous pouvons l'utiliser au profit de la paix».
Sur l'auteur: Bruno Kaufmann est depuis longtemps correspondant à l’étranger de la Société suisse de radiodiffusion et télévision SRG SSR. Il est également directeur des relations internationales de la Fondation suisse pour la démocratie et co-président du Forum mondial sur la démocratie directe moderne. swissinfo.ch | vers l'article original
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