Connaissance
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La Haute école spécialisée des Grisons a calculé le nombre Pi avec une précision de 62,8 billions de décimales après la virgule. Prestigieux, ce nouveau record mondial fait sensation. Le but des scientifiques était de tester leur ordinateur haute performance à des fins de recherches utiles.
La nouvelle est tombée tôt un samedi matin en août dernier: la tentative de record du monde de la Haute école spécialisée (HES) des Grisons concernant le nombre Pi a abouti. L’équipe du professeur d’informatique Heiko Rölke a réussi à calculer Pi avec 62,8 billions de décimales après la virgule. Les Suisses ont ainsi battu l’ancien record de Timothy Mullican, datant de 2020, qui avait déterminé 12,8 billions de décimales. Ils ont en outre effectué ce calcul trois fois plus vite – en 108 jours et neuf heures – que l’Américain, qui avait eu besoin de 303 jours de calcul pour déterminer 50 billions de décimales.
L’ampleur de l’écho rencontré par ce nouveau record de calcul de Pi a surpris son initiateur, Heiko Rölke. Sincère, le responsable du jeune Centre d’analyse de données, de visualisation et de simulation (DAViS-Zentrum) de Coire reconnaît qu’il s’attendait à une certaine publicité. Mais pas à ce que, à côté de médias régionaux, d’innombrables médias internationaux – journaux renommés, revues spécialisées, grandes chaînes de TV – parlent de ce record du monde grison. «L’épisode le plus drôle a été une émission en direct pour une radio sud-africaine, raconte le chercheur, où nous avons un peu parlé de Pi.»
Pi, le nombre qui porte la 16e lettre de l’alphabet grec, «π», constitue pour la plupart d’entre nous un souvenir d’école. Peut-être se souvient-on vaguement qu’il exprime le rapport entre la circonférence d’un cercle et son diamètre. Pi sert à calculer l’aire d’un cercle, qu’il soit immense ou minuscule. Peut-être même se rappelle-t-on ses premiers chiffres: 3,1415. Ce qui n’est pas grand-chose, car Pi est ce que les mathématiciens appellent un nombre transcendant. Autrement dit, Pi est constitué d’une série infinie de décimales après la virgule.
Or ces décimales ne se répètent pas, révèle Heiko Rölke, et chacune d’entre elles doit être calculée: «C’est ce qui est particulier et fascinant.» Il n’est donc pas étonnant que les grands esprits cherchent à définir Pi depuis 3600 ans déjà: les anciens Égyptiens, les mathématiciens grecs Archimède et Ptolémée, le chinois Liu Hui, le Perse Al-Kachi ou encore l’allemand Leibniz. Certains mathématiciens et physiciens ont passé leur vie à calculer une ou deux centaines de décimales de Pi, relate le chercheur. L’invention de l’ordinateur a considérablement élargi les possibilités. À la fin des années 1940, un ordinateur à tubes a calculé pour la première fois plus de 2000 décimales après la virgule.
«Elle n’a aucune utilité pratique.»
À la fin des années 1980, ce sont les frères Chudnovsky, des Ukrainiens, qui ont mis au point l’algorithme utilisé par la HES des Grisons pour le calcul de Pi. L’ordinateur haute performance est parvenu à définir 62 831 853 071 796 décimales après la virgule. Si l’on voulait imprimer ce chiffre ultralong, soit dit en passant, on aurait besoin de 17,5 milliards de pages A4 recto verso. La dimension est indéniablement imposante, et les chercheurs grisons sont parvenus à cerner le phénomène Pi de plus près que tous ceux qui les ont précédés. Mais à quoi sert, au fond, cette précision? «Elle n’a aucune utilité pratique», concède joyeusement Heiko Rölke. Pour les applications terrestres normales, quelques décimales suffisent. Il en faut nettement plus pour le calcul astronomique des orbites, «mais certainement pas des billions».
Les Grisons n’ont de toute façon jamais eu l’intention de travailler avec Pi. Leur but était plutôt de trouver la manière de déterminer cette formidable suite de chiffres. Car pour la calculer, Heiko Rölke indique qu’il faut, en plus du super-ordinateur fraîchement acquis par la HES, l’expertise nécessaire pour le programmer correctement et le faire fonctionner pendant des semaines sans interruption. Par cette tentative de record mondial, les informaticiens ont donc testé la capacité de leur infrastructure. Et ils ont étendu leurs connaissances.
«Lors de la préparation et de l’exécution des calculs, nous avons accumulé beaucoup de savoir-faire et optimisé nos processus», relate Heiko Rölke. Des points faibles ont également pu être identifiés, notamment des capacités de sauvegarde insuffisantes. Car pour calculer Pi de manière aussi précise et consigner les résultats intermédiaires, il a fallu un espace de stockage colossal. Les chercheurs ont dû régulièrement exporter les données sur des disques durs externes usuels. Ainsi, en réalisant cet exploit, les Grisons se sont armés pour les projets extrêmement gourmands en données et en calculs qu’ils expérimentent et développent avec des partenaires.
En collaboration avec l’Institut suisse de recherche sur les allergies et l’asthme, également situé aux Grisons, ils effectuent par exemple des recherches sur les origines des allergies chez les enfants, à propos desquelles Heiko Rölke note qu’on sait encore peu de choses. Dans ce vaste projet, des calculs complexes sont nécessaires pour analyser des échantillons sanguins. Les chercheurs étudient l’ARN messager du génome: «Avec les procédures de calcul ordinaires, nous touchions à nos limites.» D’autres projets exigent aussi une capacité de calcul accrue, comme les simulations climatiques servant à prédire les crues et les avalanches. En Suisse, les HES sont responsables des connaissances orientées vers la pratique.
Ainsi, le record du monde du calcul de Pi sert à de véritables recherches, note son initiateur. Le livre Guinness des records l’a homologué, mais les Grisons pourraient ne pas se réjouir longtemps de leur statut de champions du monde. L’expérience montre que le record du calcul de Pi est battu tous les ans ou tous les deux ans. Le dernier record suisse n’a d’ailleurs que quatre ans: en 2017, le physicien argovien Peter Trüeb avait atteint 22,4 billions de décimales après la virgule. Il avait été surpassé deux ans plus tard par Emma Haruka Iwao, chercheuse chez Google, qui avait déterminé 31 billions de décimales.
Heiko Rölke, qui a l’esprit sportif, ne s’en afflige pas. La publication du chiffre record établi dans les Grisons lui donne davantage de fil à retordre. Il le mettrait volontiers à la disposition du public, mais indique que quelqu’un devrait pouvoir offrir à cette fin un espace de stockage pour 62 térabytes de données. C’est en effet la place que prend le fichier non compressé. «Nous allons probablement nous adresser à Google», annonce le chercheur. La «Revue Suisse» doit elle aussi, pour des raisons compréhensibles, se limiter à livrer ici les dix dernières décimales après la virgule de Pi désormais connues. Les voici: 7817924264.
Commentaires
Commentaires :
J’ai été très surprise récemment qu’au Cycle d’ Orientation à Genève, on dit aux élèves de prendre simplement 3 comme valeur de Pi pour les calculs ! Partisans du moindre effort ??
« Que j’aime faire apprendre un nombre utile aux sages ….. » ça nous donne déjà 8 chiffres après la virgule en comptant le nombre de lettres de chaque mot ! Qui connaît ce « truc » ?
3,1415926535 (ce qui nous fait 10 chiffres après la virgule!)
«Que j’aime à faire apprendre un nombre utile aux sages».
Hi. Loved the article. Research not for results, but for process learning! Well done Grisons. .