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Jacques et Hubert Froidevaux, et leur ami Miguel Morales, ont inventé un humour 100% suisse, dont les cibles sont l’armée, le Cervin et les nains de jardin. Rencontre avec Plonk et Replonk à La Chaux-de-Fonds.
Une ville sans eau à demeure, installée à 1000 mètres d’altitude, avec un train qui doit faire un zigzag pour parvenir à destination du fait de la déclivité. Voilà La Chaux-de-Fonds, terre d’accueil pour les créateurs Jacques et Hubert Froidevaux, connus sous le nom de Plonk et Replonk. Il y a déjà ici un gag, puisque la marque en question compte en fait un troisième larron: Miguel Morales, ami d’enfance de la fratrie.
«La Chaux-de-Fonds, c’est une ville d’où l’on part», rigole Jacques, l’aîné, né en 1963, qui égrène les noms des émigrés célèbres de cette cité: Blaise Cendrars, Le Corbusier, Jean Chevrolet. Pourquoi partir d’ici? Peut-être à cause du climat... «Six mois d’hiver et six mois d’impôts», résume Hubert. Pourtant, eux sont restés «en haut». On dira pourquoi plus loin.
La matière première de Plonk et Replonk, ce sont les poncifs. En Suisse, cela nous amène forcément au chocolat, aux montres, au Cervin et aux nains de jardin. Depuis 15 ans, la joyeuse équipe de Plonk et Replonk plonge donc des nains dans du ciment. Le modèle de base – un cube d’où émerge seulement la tête du nain, juste au-dessus du nez – pèse 8 kilos. Il y a aussi des modèles XL, qui en font 20. L’un des avantages du nain de jardin bétonné façon abri antiatomique est que «les enfants ne peuvent pas le déplacer», s’amusent les farceurs, qui aiment les comiques suisses comme Zouc et Bernard de Haller, mais aussi l’imitateur Yann Lambiel ou l’humoriste Thierry Meury, entre autres.
Pourquoi diable couler des nains dans du ciment? «Pour les sécuriser», résument les frères Froidevaux, qui décrivent une Europe en panne, où la pauvreté et les inégalités s’accroissent, si bien que la peur de l’étranger remonterait partout. «En Suisse, on est tiré vers les années de l’initiative Schwarzenbach», ronchonne Hubert. «La Suisse n’est pas épargnée, par les tensions sociales, mais ici le choc est moins fort. On n’est pas obligé d’y devenir clochard», admet Jacques.
Quand ils voyagent, à Paris par exemple, les deux Chaux-de-Fonniers, qui sont des fous de l’Afrique, voient à leur tour les poncifs leur revenir dans le visage. «Les Français ont tendance à nous résumer aux banques et ils pensent que l’accent suisse-romand est unique, alors qu’il y en au moins quinze», grince Jacques. L’acceptation, le 9 février 2014 de l’initiative contre l’immigration massive, n’a pas arrangé les choses. «On rasait un peu les murs», raconte Hubert, qui s’est fait moquer par des amis parisiens du Baron Rouge, bistro où ils ont exposé à trois reprises.
Plonk et Replonk ont bien testé divers endroits en Suisse, et notamment Lausanne – «où on se parle moins facilement», dit Jacques –, mais au final, c’est La Chaux-de-Fonds qui leur convient le mieux. «Mon coiffeur est à une minute, mon médecin à 37 secondes. Ce n’est pas compliqué d’exister ici», résume Hubert. Autre avantage: au pays des montres, nos deux artistes trouvent tous les «pitchons» qu’il faut. Entendez par là tous les artisans de qualité nécessaires. «J’aime la précision», dit Jacques, qui a réalisé avec son frère une «pinaillette», sorte de guillotine portable pour couper les cheveux en quatre. «Le papetier a un peu flippé quand nous lui avons passé une commande pour 300 lames de taille-crayon. Je lui ai dit que j’avais des enfants qui font beaucoup de coloriage», pouffe l’aîné.
Pas loin de leur atelier capharnaüm, sis au-dessus du Pod, l’avenue centrale de La Chaux-de-Fond, un métallier grave les plaques numérotées pour les pinaillettes et les nains de jardin. La Migros locale est bien approvisionnée en nains et le ciment est aussi disponible en ville. Mais Plonk et Replonk avouent commander depuis quelques années leurs nains de jardin (de fabrication autrichienne) par la poste. Ils estiment avoir à ce stade acheté un millier d’exemplaires.
Dans l’œuvre rigolote de Plonk et Replonk, la carte postale tient un rôle central, et c’est ce travail de détournement de cette icône des 19e et 20e siècles qui leur a valu leurs premières commandes, dès 1995. «La carte postale montre ce qui est banal, ce qu’on ne voit plus», résume Jacques. Dans ce système, Genève se résume à son jet d’eau, Berne à ses ours et la Suisse au Cervin. Les deux acolytes ont étoffé leur vocabulaire avec d’autres poncifs: la famille, la patrie, les militaires, les métiers tombés en désuétude et les monuments, comble du grotesque.
Il y a 150 ans, la carte postale fonctionnait un peu comme un média, rappellent les deux érudits, en montrant des exemples d’actualités avec des images d’inondations, de cyclones ou d’accidents d’avion. Cet apport de véracité est accru par la qualité des images de l’époque. «Les gens posaient longuement face à la caméra et quand quelqu’un regarde vers l’objectif, on sent sa présence, car les plaques sensibles étaient grandes et donc les photos d’une qualité extraordinaire», détaille Hubert, qui pointe une carte postale atroce où des colons anglais de Hong Kong posent devant des têtes d’autochtones coupées posées au sol (on découvre dans un deuxième temps qu’elles ont des chapeaux de Père Noël). Enfin, l’aspect sépia des cartes donne une patine ancienne (et donc véridique). Ne manque plus qu’à poser des légendes pseudo-sérieuses, qui, accouplées à des images plus ou moins maquillées, vont créer un hiatus. Qui est le résultat visé par les deux Suisses.
Ainsi à La Chaux-de-Fonds, une carte bidon de Plonk et Replonk montre l’explosion d’une conduite d’eau (un fait historique) dans les rues de la ville. «Deux vieilles dames ont commenté l’image en essayant de se remémorer l’événement, alors que ce qu’on voit ce sont les chutes du Niagara», se marre Hubert. De même, une carte postale figurant des péniches sur un canal planté au beau milieu du Pod – l’avenue centrale de La Chaux-de-Fonds – aurait mystifié des touristes belges. Ces derniers se seraient plaints de l’absence d’un canal auprès de l’Office du tourisme, assure Hubert. Qui ajoute que ce même office leur a proposé de figurer sur une visite culturelle de la ville, ce qui aurait statufié Plonk et Replonk: un comble pour ces contempteurs des monuments.
Le climax de cette carrière déjà bien remplie a peut-être eu lieu au Musée militaire de Colombier en 2010, lors de l’exposition nommée ««Féeries militaires. 1515-2015: cinq siècles de résistance héroïque», dont l’un des points d’orgue fut un château construit par Jacques avec des biscuits militaires. L’opération a réuni des membres de l’establishment politique et militaire suisses, dont l’ancien conseiller d’Etat socialiste Jean Studer (actuel président du conseil de la Banque nationale suisse) mais aussi l’officier André Duvillard, alors commandant de la police neuchâteloise, devenu délégué du Réseau national de sécurité. «Certes, les gradés ont un peu toussé à l’heure de l’inauguration», dit Hubert, mais Duvillard a dit que la marge de progression de l’armée dépend de sa marge de dérision, ce qui est le signe que l’armée est moins monolithique qu’il y paraît», conclut en écho Jacques Froidevaux. Enfin, les images de cartes postales sont anciennes et donc libres de droit. Dans une ville sans eau à demeure, il faut savoir économiser les ressources!
Les biscuits, l’armée, les montres: tout ce monde convoqué et moqué par Plonk et Replonk sort du Noirmont, petite ville horlogère des Franches-Montagnes où ont grandi Jacques et Hubert Froidevaux et leur ami Miguel Morales. «A l’époque, le budget de l’armée était monstrueux; on courait derrière les trouffions pour demander des biscuits et du chocolat», se souvient Hubert. Les gamins grandissent en fréquentant un café-restaurant tenu par leur mère. Le bistro réunissait tout le monde au Noirmont, de l’ouvrier au patron de fabrique. Le papa est menuisier. Pendant une période, il construira aussi des cercueils, comme c’était la coutume à l’époque. Mais l’affaire fera long feu. «Un jour, alors que son bus VW était plein, mon père a placé un cercueil sur le toit et a traversé Saignelégier comme ça, cigare au bec, raconte Hubert. Les ouvrières de l’usine horlogère de la Ciny, le voyant passer ainsi s’étaient plaintes. C’étaient des grenouilles de bénitier.» Fin de la concession mortuaire pour le papa Froidevaux. Et début peut-être de la carrière de Plonk et Replonk, avec un premier fanzine rédigé par Jacques et Miguel, le «Yaourt vert», devenu ensuite «Yaourt qui tue ». Tout un programme.
Commentaires
Commentaires :
Merci Plonk et Replonk vous êtes ce beau côté de l'humour suisse qui s'amuse à rire de nous-mêmes!
J'ai moi aussi grandi dans un petit bistrot jurassien et je vois "une enfance suisse" avec vos mêmes yeux!
C'est le fun de vous lire!
"L'humour" suisse ne s'exporte pas car il n'a pas la qualité de ses montres ou de son chocolat. Dommage...
Are the books available in the UK?